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Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/390

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372 Insuffisance des documents géologiques.  

minéralogique différente, nous avons tout lieu de penser que la marche du dépôt a été plus ou moins interrompue. Mais l’examen le plus minutieux d’un dépôt ne peut nous fournir aucun élément de nature à nous permettre d’estimer le temps qu’il a fallu pour le former. On pourrait citer bien des cas de couches n’ayant que quelques pieds d’épaisseur, représentant des formations qui, ailleurs, ont atteint des épaisseurs de plusieurs milliers de pieds, et dont l’accumulation n’a pu se faire que dans une période d’une durée énorme ; or, quiconque ignore ce fait ne pourrait même soupçonner l’immense série de siècles représentée par la couche la plus mince. On pourrait citer des cas nombreux de couches inférieures d’une formation qui ont été soulevées, dénudées, submergées, puis recouvertes par les couches supérieures de la même formation — faits qui démontrent qu’il a pu y avoir des intervalles considérables et faciles à méconnaître dans l’accumulation totale. Dans d’autres cas, de grands arbres fossiles, encore debout sur le sol où ils ont vécu, nous prouvent nettement que de longs intervalles de temps se sont écoulés et que des changements de niveau ont eu lieu pendant la formation des dépôts ; ce que nul n’aurait jamais pu soupçonner si les arbres n’avaient pas été conservés. Ainsi sir C. Lyell et le docteur Dawson ont trouvé dans la Nouvelle-Écosse des dépôts carbonifères ayant 1 400 pieds d’épaisseur, formés de couches superposées contenant des racines, et cela à soixante-huit niveaux différents. Aussi, quand la même espèce se rencontre à la base, au milieu et au sommet d’une formation, il y a toute probabilité qu’elle n’a pas vécu au même endroit pendant toute la période du dépôt, mais qu’elle a paru et disparu, bien des fois peut-être, pendant la même période géologique. En conséquence, si de semblables espèces avaient subi, pendant le cours d’une période géologique, des modifications considérables, un point donné de la formation ne renfermerait pas tous les degrés intermédiaires d’organisation qui, d’après ma théorie, ont dû exister, mais présenterait des changements de formes soudains, bien que peut-être peu considérables.

Il est indispensable de se rappeler que les naturalistes n’ont aucune formule mathématique qui leur permette de distinguer les espèces des variétés ; ils accordent une petite variabilité à chaque espèce ; mais aussitôt qu’ils rencontrent quelques différences un