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Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/391

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  Absence des variétés intermédiaires. 373

peu plus marquées entre deux formes, ils les regardent toutes deux comme des espèces, à moins qu’ils ne puissent les relier par une série de gradations intermédiaires très voisines ; or, nous devons rarement, en vertu des raisons que nous venons de donner, espérer trouver, dans une section géologique quelconque, un rapprochement semblable. Supposons deux espèces B et C, et qu’on trouve, dans une couche sous-jacente et plus ancienne, une troisième espèce A ; en admettant même que celle-ci soit rigoureusement intermédiaire entre B et C, elle serait simplement considérée comme une espèce distincte, à moins qu’on ne trouve des variétés intermédiaires la reliant avec l’une ou l’autre des deux formes ou avec toutes les deux. Il ne faut pas oublier que, ainsi que nous l’avons déjà expliqué, A pourrait être l’ancêtre de B et de C, sans être rigoureusement intermédiaire entre les deux dans tous ses caractères. Nous pourrions donc trouver dans les couches inférieures et supérieures d’une même formation l’espèce parente et ses différents descendants modifiés, sans pouvoir reconnaître leur parenté, en l’absence des nombreuses formes de transition, et, par conséquent, nous les considérerions comme des espèces distinctes.

On sait sur quelles différences excessivement légères beaucoup de paléontologistes ont fondé leurs espèces, et ils le font d’autant plus volontiers que les spécimens proviennent des différentes couches d’une même formation. Quelques conchyliologistes expérimentés ramènent actuellement au rang de variétés un grand nombre d’espèces établies par d’Orbigny et tant d’autres, ce qui nous fournit la preuve des changements que, d’après ma théorie, nous devons constater. Dans les dépôts tertiaires récents, on rencontre aussi beaucoup de coquilles que la majorité des naturalistes regardent comme identiques avec des espèces vivantes ; mais d’autres excellents naturalistes, comme Agassiz et Pictet, soutiennent que toutes ces espèces tertiaires sont spécifiquement distinctes, tout en admettant que les différences qui existent entre elles sont très légères. Là encore, à moins de supposer que ces éminents naturalistes se sont laissés entraîner par leur imagination, et que les espèces tertiaires ne présentent réellement aucune différence avec leurs représentants vivants, ou à moins d’admettre que la grande majorité des naturalistes ont tort en refusant de re-