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514 Affinités mutuelles des êtres organisés.  


L’explication se présente, au contraire, d’elle-même, pour ainsi dire, dans la théorie de la sélection des modifications légères et successives, chaque modification étant avantageuse en quelque manière à la forme modifiée et affectant souvent par corrélation d’autres parties de l’organisation. Dans les changements de cette nature, il ne saurait y avoir qu’une bien faible tendance à modifier le plan primitif, et aucune à en transposer les parties. Les os d’un membre peuvent, dans quelque proportion que ce soit, se raccourcir et s’aplatir, ils peuvent s’envelopper en même temps d’une épaisse membrane, de façon à servir de nageoire ; ou bien, les os d’un pied palmé peuvent s’allonger plus ou moins considérablement en même temps que la membrane interdigitale, et devenir ainsi une aile ; cependant toutes ces modifications ne tendent à altérer en rien la charpente des os ou leurs rapports relatifs. Si nous supposons un ancêtre reculé, qu’on pourrait appeler l’archétype de tous les mammifères, de tous les oiseaux et de tous les reptiles, dont les membres avaient la forme générale actuelle, quel qu’ait pu, d’ailleurs, être l’usage de ces membres, nous pouvons concevoir de suite la construction homologue des membres chez tous les représentants de la classe entière. De même, à l’égard de la bouche des insectes ; nous n’avons qu’à supposer un ancêtre commun pourvu d’une lèvre supérieure, de mandibules et de deux paires de mâchoires, toutes ces parties ayant peut-être une forme très simple ; la sélection naturelle suffit ensuite pour expliquer la diversité infinie qui existe dans la conformation et les fonctions de la bouche de ces animaux. Néanmoins, on peut concevoir que le plan général d’un organe puisse s’altérer au point de disparaître complètement par la réduction, puis par l’atrophie complète de certaines parties, par la fusion, le doublement ou la multiplication d’autres parties, variations que nous savons être dans les limites du possible. Le plan général semble avoir été ainsi en partie altéré dans les nageoires des gigantesques lézards marins éteints, et dans la bouche de certains crustacés suceurs.

Il est encore une autre branche également curieuse de notre sujet : c’est la comparaison, non plus des mêmes parties ou des mêmes organes chez les différents membres d’une même classe,