Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/126

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célèbres leçons de Max Muller, je ne puis douter que le langage ne doive son origine à des imitations et à des modifications, accompagnées de signes et de gestes, de divers sons naturels, des cris d’autres animaux, et des cris instinctifs propres à l’homme lui-même. Nous verrons, lorsque nous nous occuperons de la sélection sexuelle, que les hommes primitifs, ou plutôt quelque antique ancêtre de l’homme, s’est probablement beaucoup servi de sa voix, comme le font encore aujourd’hui certains gibbons, pour émettre de véritables cadences musicales, c’est-à-dire pour chanter. Nous pouvons conclure d’analogies très généralement répandues que cette faculté s’exerçait principalement aux époques où les sexes se recherchent, pour exprimer les diverses émotions de l’amour, de la jalousie, du triomphe, ou pour défier les rivaux. Il est donc probable que l’imitation des cris musicaux par des sons articulés ait pu engendrer des mots exprimant diverses émotions complexes. Nous devons ici appeler l’attention, car ce fait explique en grande partie ces imitations, sur la forte tendance qu’ont les formes les plus voisines de l’homme, les singes, les idiots microcéphales[1], et les races barbares de l’humanité, à imiter tout ce qu’ils entendent. Les singes comprennent certainement une grande partie de ce que l’homme leur dit, et, à l’état de nature, poussent des cris différents pour signaler un danger à leurs camarades[2] ; les poules sur terre et les faucons dans l’air poussent un cri particulier pour avertir d’un danger les animaux appartenant à la même espèce, et les chiens comprennent ces deux cris[3] ; il ne semble donc pas impossible que quelque animal ressemblant au singe ait eu l’idée d’imiter le hurlement d’un animal féroce pour avertir ses semblables du genre de danger qui les menaçait. Il y aurait, dans un fait de cette nature, un premier pas vers la formation d’un langage.

À mesure que la voix s’est exercée davantage, les organes vocaux ont dû se renforcer et se perfectionner en vertu du principe des effets héréditaires de l’usage ; ce qui a dû réagir sur la faculté de la parole. Mais les rapports entre l’usage continu du langage et le développement du cerveau ont été, sans aucun doute, beaucoup plus importants. L’ancêtre primitif de l’homme, quel qu’il soit,

    traduit en anglais l’ouvrage qu’a publié sur ce sujet le professeur Aug. Schleicher, sous le titre de Darwinism tested by the science of Language, 1869.

  1. Vogt, Mémoires sur les Microcéphales, 1867, p. 169. En ce qui concerne les sauvages, j’ai signalé quelques faits dans mon Voyage d’un naturaliste autour du monde (Paris, Reinwald), p. 206.
  2. On trouvera de nombreuses preuves à cet égard dans les deux ouvrages si souvent cités de Brehm et de Rengger.
  3. Voir Houzeau, op. cit., vol. II, p. 348.