Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/128

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sèdent cette faculté au moins à l’état naissant et de façon très grossière. Quant aux enfants, âgés de dix à onze mois, et aux sourds-muets, il me semble incroyable qu’ils puissent rattacher certains sons à certaines idées générales aussi rapidement qu’ils le font, à moins que l’on admette que ces idées générales étaient déjà formées dans leur esprit. On peut appliquer la même remarque aux animaux les plus intelligents, car, comme le fait observer M. Leslie Stephen[1] : « Un chien se fait une idée générale des chats et des moutons et connaît les mots correspondants tout aussi bien que peut les connaître un philosophe. La faculté de comprendre est, à un degré inférieur, il est vrai, une aussi bonne preuve de l’intelligence vocale, que peut l’être la faculté de parler. »

Il n’est pas difficile de concevoir pourquoi les organes, qui servent actuellement au langage, ont été plutôt que d’autres originellement perfectionnés dans ce but. Les fourmis communiquent facilement les unes avec les autres au moyen de leurs antennes, ainsi que l’a prouvé Huber, qui consacre un chapitre entier à leur langage. Nous aurions pu nous servir de nos doigts comme instruments efficaces, car, avec de l’habitude, on peut transmettre à un sourd chaque mot d’un discours prononcé en public ; mais alors l’impossibilité de nous servir de nos mains, pendant qu’elles auraient été occupées à exprimer nos pensées, eût constitué pour nous un inconvénient sérieux. Tous les mammifères supérieurs ont les organes vocaux construits sur le même plan général que les nôtres, et se servent de ces organes comme moyen de communiquer avec leurs congénères ; il est donc extrêmement probable que, dès que les communications devinrent plus fréquentes et plus importantes, ces organes ont dû se développer dans la mesure des nouveaux besoins ; c’est ce qui est arrivé, en effet, et ces progrès

    aura beaucoup plus de poids sur ce point que tout ce que je pourrai dire. Le professeur fait remarquer, Oriental and linguistic studies, 1873, p. 297, en discutant les opinions de Bleek, : « Bleek se basant sur ce que le langage est un auxiliaire de la pensée presque indispensable à son développement, à la netteté, à la variété et à la complexité des sensations qui déterminent la conscience, en conclut que la pensée est absolument impossible sans la parole, et il confond ainsi la faculté avec l’instrument. Il pourrait tout aussi bien soutenir que la main humaine est incapable d’agir sans le concours d’un outil. En partant d’une semblable doctrine, il lui est impossible de ne pas accepter les paradoxes les plus regrettables de Müller et de ne pas soutenir qu’un enfant (infans ne parlant pas) n’est pas un être humain et qu’un sourd-muet n’acquiert la raison que quand il a appris à se servir de ses doigts pour figurer le langage ! » Max Müller, op. cit., a soin de souligner l’aphorisme suivant : « Il n’y a pas plus de pensée sans parole qu’il n’y a de parole sans pensée. » Quelle étrange définition du terme pensée !

  1. Essays on Free-Thinking, etc. 1873, p. 82.