Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/147

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les plus proches ; ainsi, par exemple, les abeilles ouvrières qui tuent leurs frères et les reines-abeilles qui détruisent leurs propres filles, car le désir de détruire leurs proches parents, au lieu de les aimer, constitue, dans ce cas, un avantage pour la communauté. On a observé chez certains animaux placés extrêmement bas sur l’échelle, chez les astéries ou les araignées, par exemple, l’existence de l’affection paternelle, ou de quelque sentiment analogue qui la remplace. Ce sentiment existe aussi parfois chez quelques membres seuls de tout un groupe d’animaux, comme chez les Forficula, ou perce-oreille.

Le sentiment si important de la sympathie est distinct de celui de l’amour. Quelque passionné que soit l’amour qu’une mère puisse ressentir pour son enfant endormi, on ne saurait pas dire qu’elle éprouve en ce moment de la sympathie pour lui. L’affection que l’homme a pour son chien, l’amour du chien pour son maître, ne ressemblent en rien à de la sympathie. Adam Smith a affirmé autrefois, comme M. Bain l’a fait récemment, que la sympathie repose sur le vif souvenir que nous ont laissé d’anciens états de douleur ou de plaisir. Il en résulte que « le spectacle d’une autre personne qui souffre de la faim, du froid, de la fatigue, nous rappelle le souvenir de ces sensations, qui nous sont douloureuses même en pensée. » Il en résulte aussi que nous sommes disposés à soulager les souffrances d’autrui, pour adoucir dans une certaine mesure les sentiments pénibles que nous éprouvons. C’est le même motif qui nous dispose à participer aux plaisirs des autres[1]. Mais je ne crois pas que cette hypothèse explique comment il se fait qu’une personne, qui nous est chère, excite notre sympathie à un bien plus haut degré qu’une personne qui nous est indifférente. Le spectacle seul de la souffrance, sans tenir compte de l’amour, suffirait pour évoquer dans notre esprit des souvenirs et des comparaisons vivaces. Il est possible peut-être d’expliquer ce phénomène en supposant que, chez tous les animaux, la sympathie ne s’exerce qu’envers les membres de la même communauté, c’est-à-dire envers les membres qui leur sont bien connus et qu’ils aiment

  1. Voir le premier et excellent chapitre de la Théorie des sentiments moraux, d’Adam Smith. Voir aussi Mental and Moral science, de M. Bain, pp. 244, 275 et 282. M. Bain affirme, « que la sympathie est indirectement une source de plaisir pour celui qui sympathise ; » et il explique cette réciprocité. Il remarque « que la personne qui a reçu le bienfait, ou d’autres à sa place, peuvent reconnaître le sacrifice par leur sympathie et leurs bons offices. Mais si, comme cela paraît être le cas, la sympathie n’est qu’un instinct, son exercice serait la cause d’un plaisir direct, de la même manière, ainsi que nous l’avons déjà vu, que l’exercice de tout autre instinct.