Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/148

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plus ou moins, mais non pas envers tous les individus de la même espèce. On sait, d’ailleurs, et c’est là un fait à peu près analogue, que beaucoup d’animaux redoutent tout particulièrement certains ennemis. Les espèces non sociables, telles que les tigres et les lions, ressentent sans aucun doute de la sympathie pour les souffrances de leurs petits, mais non pas pour celles d’autres animaux. Chez l’homme, l’égoïsme, l’expérience et l’imitation ajoutent probablement, ainsi que le fait remarquer M. Bain, à la puissance de la sympathie ; car l’espoir d’un échange de bons procédés nous pousse à accomplir pour d’autres des actes de bienveillance sympathique ; on ne saurait mettre en doute, d’ailleurs, que les sentiments de sympathie se fortifient beaucoup par l’habitude. Quelle que soit la complexité des causes qui ont engendré ce sentiment, comme il est d’une utilité absolue à tous les animaux qui s’aident et se défendent mutuellement, la sélection naturelle a dû le développer beaucoup ; en effet, les associations contenant le plus grand nombre de membres éprouvant de la sympathie, ont dû réussir et élever un plus grand nombre de descendants.

D’ailleurs, il est impossible, dans beaucoup de cas, de déterminer si certains instincts sociaux sont la conséquence de l’action de la sélection naturelle ou s’ils sont le résultat indirect d’autres instincts et d’autres facultés, tels que la sympathie, la raison, l’expérience et la tendance à l’imitation ; ou bien encore, s’ils sont simplement le résultat de l’habitude longuement continuée. L’instinct remarquable qui pousse à poster des sentinelles pour avertir le troupeau du danger, ne peut guère être le résultat indirect d’aucune autre faculté ; il faut donc qu’il ait été directement acquis. D’autre part, l’habitude qu’ont les mâles de quelques espèces sociables de défendre la communauté et de se réunir pour attaquer leurs ennemis ou leur proie, résulte peut-être de la sympathie mutuelle ; mais le courage, et, dans la plupart des cas, la force, ont dû être préalablement acquis, probablement par sélection naturelle.

Certaines habitudes et certains instincts sont beaucoup plus vifs que d’autres, c’est-à-dire, il en est qui procurent plus de plaisir s’ils sont satisfaits, et plus de peine s’ils ne le sont pas ; ou, ce qui est probablement tout aussi important, il en est qui sont transmis héréditairement d’une manière plus persistante sans exciter aucun sentiment spécial de plaisir ou de peine. Nous comprenons nous-mêmes que certaines habitudes sont beaucoup plus que d’autres, difficiles à guérir ou à changer. Aussi peut-on souvent observer, chez les animaux, des luttes entre des instincts divers, ou entre un instinct et quelque tendance habituelle ; ainsi, lorsqu’un chien