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rencontrons, d’autre part, d’insurmontables difficultés à définir ces races ; il semble donc que, dans ce cas, on pourrait recourir avec avantage à l’emploi du terme « sous-espèce ». Mais la longue habitude fera peut-être toujours préférer le terme « race ». Le choix des termes n’a, d’ailleurs, qu’une importance secondaire, bien qu’il soit à désirer, si faire se peut, que les mêmes termes servent à exprimer les mêmes degrés de différence. Il est malheureusement difficile de réaliser cet objectif, car, dans une même famille, les plus grands genres renferment généralement des formes très voisines entre lesquelles il n’est guère possible d’établir une distinction, tandis que les petits genres comprennent des formes parfaitement distinctes ; toutes doivent, cependant, être qualifiées d’espèces. En outre, les espèces d’un même genre considérable n’ont pas entre elles un même degré de ressemblance ; bien au contraire, dans la plupart des cas, on peut en grouper quelques-unes autour d’autres comme des satellites autour des planètes[1].

Le genre humain se compose-t-il d’une ou de plusieurs espèces ? C’est là une question que les anthropologues ont vivement discutée pendant ces dernières années, et, faute de pouvoir se mettre d’accord, ils se sont divisés en deux écoles, les monogénistes et les polygénistes. Ceux qui n’admettent pas le principe de l’évolution doivent considérer les espèces, soit comme des créations séparées, soit comme des entités en quelque sorte distinctes ; ils doivent, en conséquence, indiquer quelles sont les formes humaines qu’ils considèrent comme des espèces, en se basant sur les règles qui ont fait ordinairement attribuer le rang d’espèces aux autres êtres organisés. Mais la tentative est inutile tant qu’on n’aura pas accepté généralement quelque définition du terme « espèce », définition qui ne doit point renfermer d’élément indéterminé tel qu’un acte de création. C’est comme si on voulait, avant toute définition, décider qu’un certain groupe de maisons doit s’appeler village, ville ou cité. Les interminables discussions sur la question de savoir si on doit regarder comme des espèces ou comme des races géographiques les mammifères, les oiseaux, les insectes et les plantes si nombreux et si voisins, qui se représentent mutuellement dans l’Amérique du Nord et en Europe, nous offrent un exemple pratique de cette difficulté. Il en est de même pour les productions d’un grand nombre d’îles situées à peu de distance des continents.

Les naturalistes, au contraire, qui admettent le principe de l’évolution, et la plupart des jeunes naturalistes partagent cette opinion,

  1. Origine des espèces, p. 62.