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de cinq ou six genres de plantes, mais qu’ils ne visitent jamais les fleurs blanches ou jaunes d’autres espèces des mêmes genres ou de genres différents cultivées dans le même jardin ; j’ai reçu plusieurs confirmations de ce fait. M. Doubleday affirme que le papillon blanc commun s’abat souvent sur un morceau de papier blanc gisant sur le sol, le prenant sans doute pour un de ses semblables. M. Collingwood[1] a remarqué que, dans l’archipel Malais, où il est si difficile de capturer certains papillons, il suffit de piquer, bien en évidence sur une branche, un individu mort, pour arrêter dans son vol étourdi un insecte de la même espèce, et pour l’amener à portée du filet, surtout s’il appartient au sexe opposé.

La cour que se font les papillons est, comme nous l’avons déjà fait remarquer, une affaire de longue haleine. Les mâles se livrent quelquefois de furieux combats, et on en voit plusieurs poursuivre une même femelle et s’empresser autour d’elle. Si donc les femelles n’ont pas de préférence pour tel ou tel mâle, l’accouplement n’est plus qu’une affaire de pur hasard, ce qui ne me paraît pas probable. Si, au contraire, les femelles choisissent habituellement ou même accidentellement les plus beaux mâles, les couleurs de ces derniers ont dû devenir graduellement de plus en plus brillantes, et tendre à se transmettre soit aux individus de l’un et l’autre sexe, soit à un seul sexe, selon la loi d’hérédité qui a prévalu. En outre, l’action de la sélection sexuelle aura été facilitée de beaucoup et devient plus intelligible, si on peut se fier aux conclusions qui résultent des preuves de différente nature que nous avons présentées dans le supplément au neuvième chapitre ; c’est-à-dire que le nombre des mâles à l’état de chrysalide, au moins chez un grand nombre de lépidoptères, excède de beaucoup celui des femelles.

Il est cependant quelques faits qui ne concordent pas avec l’opinion que les papillons femelles choisissent les plus beaux mâles ; ainsi, plusieurs observateurs m’ont assuré qu’on rencontre souvent des femelles fraîchement écloses accouplées avec des mâles délabrés, fanés ou décolorés, mais c’est là une circonstance qui résulte presque nécessairement du fait que les mâles sortent du cocon plus tôt que les femelles. Chez les lépidoptères de la famille des Bombycidés, les sexes s’accouplent aussitôt après leur sortie de la chrysalide, car la condition rudimentaire de leur bouche s’oppose à ce qu’ils puissent se nourrir. Les femelles, comme plusieurs entomologistes me l’ont fait remarquer, restent dans un état voisin de la torpeur, et ne paraissent exercer aucun choix parmi les mâles.

  1. Rambles of a Naturalist in the Chinese Seas, 1868, p. 182.