Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/664

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diamètre. Mantegazza fait un curieux récit de la honte qu’éprouva un indigène de l’Amérique du Sud, et du ridicule dont il fut couvert, pour avoir vendu son tembeta, grosse pièce de bois colorée qui occupait le trou de sa lèvre. Dans l’Afrique centrale, les femmes se percent la lèvre inférieure et y portent un morceau de cristal, auquel les mouvements de la langue communiquent une agitation frétillante, « qui, pendant la conversation, est d’un comique indescriptible. » Le chef de Latooka a dit à Sir S. Baker[1] que sa femme serait « bien plus jolie si elle voulait enlever ses quatre incisives inférieures, et porter dans la lèvre correspondante un cristal à longue pointe. » Plus au midi, chez les Makalolo, c’est la lèvre supérieure qui est perforée, pour recevoir un gros anneau en métal et en bambou, qui s’appelle un pelélé. « Ceci détermina chez une femme une projection de la lèvre qui dépassait de deux pouces l’extrémité du nez ; et la contraction des muscles, lorsque cette femme souriait, relevait sa lèvre jusqu’au-dessus des yeux. » On demanda au vénérable chef Chinsurdi pourquoi les femmes portaient de pareils objets. Évidemment étonné d’une question aussi absurde, il répondit : « Pour la beauté ! Ce sont les seules belles choses que les femmes possèdent ; les hommes ont des barbes, les femmes point. Quel genre de personnes seraient-elles sans le pelélé ? Elles ne seraient pas du tout des femmes, avec une bouche comme l’homme, mais sans barbe[2]. »

Il n’est pas une partie du corps qui ait échappé aux modifications artificielles. Ces opérations doivent causer de très-grandes souffrances, car beaucoup réclament plusieurs années pour être complètes ; il faut donc que l’idée de leur nécessité soit impérative. Les motifs en sont divers : les hommes se peignent le corps pour paraître terribles dans les combats ; certaines mutilations se rattachent à des rites religieux ; d’autres indiquent l’âge de puberté, le rang de l’homme, ou bien servent à distinguer les tribus. Chez les sauvages, les mêmes modes se perpétuent pendant de longues périodes[3] ; par conséquent, des mutilations, faites à l’origine dans un but quelconque, prennent de la valeur comme marques distinctives. Mais le besoin de se parer, la vanité et l’admiration d’autrui en paraissent être les motifs les plus ordinaires. Les missionnaires

  1. The Albert X’yanza, vol. I, p. 217, 1866.
  2. Livingstone, British Association, 1860 ; rapport donné dans l’Atheneum, July 1860, p. 29.
  3. Sir S. Baker (o. c., I, 210), parlant des indigènes de l’Afrique centrale, dit que chaque tribu a sa mode distincte et invariable pour l’arrangement des cheveux. Voir, sur l’invariabilité du tatouage des Indiens de l’Amazone, Agassiz, Journey in Brazil, p. 318, 1868).