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la descendance. On assure qu’il existe des tribus qui pratiquent ce que Sir J. Lubbock appelle des mariages en commun ; c’est-à-dire que tous les hommes et toutes les femmes de la tribu sont réciproquement maris et femmes vis-à-vis les uns des autres. Le dérèglement est très-grand chez les sauvages, et pourtant de nouvelles preuves seraient nécessaires avant d’admettre cette promiscuité absolue dans les relations des deux sexes. Néanmoins, tous les auteurs qui ont étudié de près le sujet[1], et dont les appréciations ont plus de valeur que les miennes, croient que le mariage en commun (cette expression s’entend de deux ou trois façons différentes), que ce mariage en commun donc, y compris même le mariage entre frères et sœurs, a dû être la forme primitive et universelle dans le monde entier.

Feu A. Smith, qui a beaucoup voyagé dans l’Afrique australe et qui a longuement étudié les mœurs des sauvages en Afrique et autre part, m’a affirmé qu’il n’existe aucune race chez laquelle la femme soit considérée comme la propriété de la communauté. Je crois que son jugement a été largement influencé par la signification qu’il donne au terme mariage. Dans toute la discussion suivante, j’attribue à ce terme le sens qu’implique le mot monogame, attribué par un naturaliste aux animaux, c’est-à-dire, que le mâle est accepté par une seule femelle, ou choisit une seule femelle et vit avec elle, soit seulement pendant l’élevage des jeunes, soit pendant toute l’année, s’assurant cette possession par la loi de la force ; ou le mot polygame, c’est-à-dire que le mâle vit avec plusieurs femelles. Nous n’avons à nous occuper ici que de cette seule espèce de mariage, car elle suffit pour évoquer l’action de la sélection naturelle. La plupart des écrivains que j’ai cités plus haut attribuent au contraire au terme mariage l’idée d’un droit reconnu et protégé par la tribu.

Les preuves indirectes qui viennent à l’appui de l’hypothèse du mariage en commun sont très-fortes, et reposent surtout sur les termes exprimant les rapports de parenté employés par les mem-

  1. Sir J. Lubbock, Origin of Civilization, chap. iii, p. 60-67, 1870. M. Mc-Lennan, dans son excellent ouvrage : Primitive Marriage, p. 163, 1865, parle des unions des sexes comme ayant été dans les temps anciens fort relâchées, transitoires, et à certains degrés entachées de promiscuité. M. Mc Lennan et Sir J. Lubbock ont recueilli beaucoup de preuves du dérèglement des sauvages actuels. M. L. H. Morgan, dans son intéressant mémoire sur le système de classification par la parenté Proc. American Acad. of Sciences. VII, p. 475, 1868), conclut que, dans les temps primitifs, la polygamie, ainsi que le mariage sous toutes ses formes, étaient absolument inconnus. Il paraît, d’après Sir J. Lubbock, que Bachofen partage également l’opinion que primordialement la promiscuité a été prépondérante.