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Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/715

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sociables, je n’aurais pas cru qu’il fût nécessaire que les sexes pussent se reconnaître à une grande distance. Il me semble plus probable que les brillantes couleurs qui se trouvent soit sur la face soit sur le derrière, ou, comme chez le mandrill, sur ces deux parties du corps, constituent un ornement sexuel et une beauté. Quoi qu’il en soit, comme nous savons aujourd’hui que les singes ont l’habitude de présenter leur derrière à d’autres singes, il cesse d’être surprenant que cette partie de leur corps ait acquis une décoration plus ou moins brillante. Le fait que, autant qu’on le sait du moins jusqu’à présent, les singes ainsi décorés sont les seuls qui agissent de cette façon, nous porte à nous demander si cette habitude a été acquise par quelque cause indépendante, et si les parties en question ont reçu une coloration comme ornement sexuel ; ou si la coloration et l’habitude de présenter le derrière ont été acquises d’abord par variation et par sélection sexuelle, et si l’habitude s’est conservée ensuite comme un signe de plaisir et de bon accueil, grâce à l’hérédité. Ce dernier principe se manifeste dans bien des occasions : ainsi, on admet que le chant des oiseaux constitue principalement une attraction pendant la saison des amours, et que les Icks ou grandes assemblées du tétras noir ont un rapport intime avec la cour que se font ces oiseaux ; mais quelques oiseaux, le rouge-gorge, par exemple, ont conservé l’habitude de chanter quand ils se sentent heureux, et le tétras noir a conservé l’habitude de se réunir pendant d’autres saisons de l’année.

Je demande la permission d’ajouter quelques mots sur un autre point relatif à la sélection sexuelle. On a objecté que cette forme de sélection, en ce qui concerne au moins les ornements du mâle, implique que toutes les femelles, dans une même région, doivent posséder et exercer exactement les mêmes goûts. Toutefois il faut se rappeler en premier lieu que, bien que l’étendue des variations d’une espèce puisse être considérable, elle n’est certes pas infinie. J’ai cité à cet égard un excellent exemple relatif au pigeon : on connaît au moins cent variétés de pigeons différant beaucoup au point de vue de la coloration, et au moins une vingtaine de variétés de poules différant de la même façon ; mais, chez ces deux espèces, la gamme des couleurs est extrêmement distincte. En conséquence, les femelles des espèces naturelles n’ont pas un choix illimité. En second lieu, je crois qu’aucun partisan du principe de la sélection sexuelle ne suppose que les femelles choisissent des points particuliers de beauté chez les mâles ; elles sont simplement excitées ou attirées à un plus haut degré par un mâle que par un autre, et cette séduction semble souvent dépendre, surtout chez les oiseaux, de la coloration brillante. L’homme lui-même, sauf peut-être l’artiste, n’analyse pas chez la femme qu’il admire les légères différences de traits qui constituent sa beauté. Le mandrill mâle a non-seulement le derrière, mais la face brillamment colorée et marquée de traits obliques, une barbe jaune et d’autres ornements. Les phénomènes que présente la variation des animaux à l’état domestique nous autorisent à penser que les divers ornements du mandrill ont été graduellement acquis tantôt par la variation d’un individu dans un sens, tantôt par la variation d’un autre individu dans un autre sens. Les mâles les plus beaux ou les plus attrayants aux yeux des femelles ont dû s’accoupler plus souvent, et laisser, par conséquent, plus de descendants que les autres mâles. Les descendants de ces plus beaux mâles, bien que croisés de toutes les façons, ont dû hériter des caractères de leur père, et