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couleur déterminés chez les perroquets quand on les nourrit avec certains poissons, ou qu’on leur inocule le poison de certains crapauds[1] ; car ces phénomènes nous prouvent que les fluides du système, altérés dans un but spécial, peuvent provoquer d’autres changements. Nous devons nous rappeler surtout que des modifications acquises, qui ont continuellement rendu des services dans le passé, ont dû probablement se fixer et devenir héréditaires.

On peut donc, avec certitude, attribuer aux résultats directs et indirects de la sélection naturelle une importance très grande bien que non définie ; mais, après avoir lu l’essai de Nägeli sur les plantes, et les observations faites par divers auteurs sur les animaux, plus particulièrement celles récemment énoncées par le professeur Broca, j’admets maintenant que, dans les premières éditions de l’Origine des Espèces, j’ai probablement attribué un rôle trop considérable à l’action de la sélection naturelle ou à la persistance du plus apte. J’ai donc modifié la cinquième édition de cet ouvrage de manière à limiter mes remarques aux adaptations de structure ; mais je suis convaincu, et les recherches faites pendant ces quelques dernières années fortifient chez moi cette conviction, qu’on découvrira l’utilité de beaucoup de conformations qui nous paraissent aujourd’hui inutiles et qu’il faudra, par conséquent, les faire rentrer dans la sphère d’action de la sélection naturelle. Néanmoins je n’ai pas, autrefois, suffisamment appuyé sur l’existence de beaucoup de conformations qui, autant que nous en pouvons juger, paraissent n’être ni avantageuses ni nuisibles ; et c’est là, je crois, l’une des omissions les plus graves qu’on ait pu relever, jusqu’à présent, dans mon ouvrage. Qu’il me soit permis de dire comme excuse que j’avais en vue deux objets distincts : le premier, de démontrer que l’espèce n’a pas été créée séparément, et le second, que la sélection naturelle a été l’agent modificateur principal, bien qu’elle ait été largement aidée par les effets héréditaires de l’habitude, et un peu par l’action directe des conditions ambiantes. Toutefois je n’ai pu m’affranchir suffisamment de l’influence de mon ancienne croyance, alors généralement admise, à la création de chaque espèce dans un but spécial ; ce qui m’a conduit à supposer tacitement que chaque détail de conformation, les rudiments exceptés, devait avoir quelque utilité spéciale, bien que non reconnue. Avec cette idée dans l’esprit, on est naturellement entraîné à étendre trop loin l’action de la sélection naturelle dans le passé ou dans le présent. Quelques-uns de ceux qui admettent le principe de l’évo-

  1. La Variation des Animaux, etc., vol. II, p. 297.