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GUERRE CONTRE LES INDIENS.

sans contredit, des scènes horribles ; mais combien n’est pas plus horrible encore le fait certain qu’on massacre de sang-froid toutes les femmes indiennes qui paraissent avoir plus de vingt ans ! Quand je me récriai au nom de l’humanité, on me répondit : « Cependant que faire ? Ces sauvages ont tant d’enfants ! »

Ici chacun est convaincu que c’est là la plus juste des guerres, parce qu’elle est dirigée contre les sauvages. Qui pourrait croire qu’à notre époque il se commet autant d’atrocités dans un pays chrétien et civilisé ? On épargne les enfants, qu’on vend ou qu’on donne pour en faire des domestiques, ou plutôt des esclaves, aussi longtemps toutefois que leurs possesseurs peuvent leur persuader qu’ils sont esclaves. Mais je crois qu’en somme on les traite assez bien.

Pendant la bataille quatre hommes s’enfuirent ensemble ; on les poursuivit ; l’un d’eux fut tué et les trois autres pris vivants. C’étaient des messagers ou ambassadeurs d’un corps considérable d’Indiens réunis, pour la défense commune, auprès de la Cordillère. La tribu auprès de laquelle ils avaient été envoyés était sur le point de tenir un grand conseil, le festin de chair de jument était prêt, la danse allait commencer, et le lendemain les ambassadeurs devaient repartir pour la Cordillère. Ces ambassadeurs étaient de beaux hommes, très-blonds, ayant plus de 6 pieds de haut ; aucun d’eux n’avait trente ans. Les trois survivants possédaient, bien entendu, des renseignements précieux ; pour les leur extorquer, on les plaça en ligne. On interrogea les deux premiers, qui se contentèrent de répondre : No se (je ne sais pas), et on les fusilla l’un après l’autre. Le troisième répondit aussi : No se ; puis il ajouta : « Tirez : je suis un homme ; je sais mourir !» Ils ne voulurent ni l’un ni l’autre proférer une syllabe qui aurait pu nuire à la cause de leur pays. Le cacique dont j’ai parlé tout à l’heure adopta une conduite toute différente ; pour sauver sa vie, il dévoila le plan que ses compatriotes se proposaient de suivre pour continuer la guerre et le lieu où les tribus devaient se concentrer dans les Andes. On croyait, à ce moment, que six ou sept cents Indiens étaient déjà réunis, et que, pendant l’été, ce nombre se doublerait. Ce cacique avait, en outre, comme je l’ai dit tout à l’heure, indiqué le campement d’une tribu auprès des petites Salinas, près de Bahia Blanca, tribu à laquelle on devait envoyer des ambassadeurs, ce qui prouve que les communications sont actives entre les Indiens, de la Cordillère jusqu’à la côte de l’Atlantique.