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LA SIERRA VENTANA.

nous avons grande difficulté à trouver de l’eau et nous pensons un instant que nous serons obligés de passer la nuit sans pouvoir nous en procurer. Nous finissons enfin par en découvrir en cherchant sur la pente, car, même à la distance de quelques centaines de mètres, les petits ruisseaux se trouvent absorbés par les pierres calcaires friables et les amas de détritus qui les entourent. Je ne crois pas que la nature ait jamais produit roc plus désolé et plus solitaire ; il mérite bien son nom de hurtado ou isolé. La montagne est escarpée, extrêmement raboteuse, crevassée et si absolument dépouillée d’arbres et même de taillis, que nous n’avons pu trouver, malgré toutes nos recherches, de quoi faire une broche pour cuire notre viande au-dessus d’un feu de tiges de chardons[1]. L’aspect étrange de cette montagne se trouve rehaussé par la plaine environnante, qui ressemble à la mer ; plaine qui non-seulement vient mourir au pied de ses flancs abrupts, mais qui aussi sépare les chaînons parallèles. L’uniformité de la couleur rend le paysage fort monotone ; aucune teinte plus brillante ne vient trancher, en effet, sur le gris blanchâtre du rocher quartzeux et sur le brun clair de l’herbe fanée de la plaine. On s’attend ordinairement, dans le voisinage d’une haute montagne, à voir un pays accidenté et parsemé d’immenses fragments de rochers. La nature donne ici la preuve que le dernier mouvement qui se produit, pour changer le lit de la mer en terre sèche, peut quelquefois s’accomplir fort tranquillement. Dans ces circonstances, j’étais curieux de savoir à quelle distance des cailloux provenant du rocher primitif avaient pu être transportés. Or on trouve, sur les côtes de Bahia Blanca et près de la ville de ce nom, des morceaux de quartz qui certainement proviennent de cette montagne, située à 45 milles (72 kilomètres) de distance.

La rosée qui, pendant la première partie de la nuit, avait mouillé les couvertures qui nous recouvraient s’était transformée en glace le lendemain matin. Bien que la plaine paraisse horizontale, elle s’élève graduellement, et nous nous trouvions à 800 ou 900 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le 9 septembre, dans la matinée, le guide me conseille de faire l’ascension de la chaîne la plus proche, qui peut-être me conduira aux quatre pics qui surplombent la montagne. Grimper sur des rocs aussi rugueux est chose extrême-

  1. J’emploie le mot chardon faute d’une expression plus correcte. Je crois que c’est une espèce d’Eryngium.