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DE BAHIA BLANCA A BUENOS AYRES.

qu’à la mer il est impossible de le traverser à gué ; ce fleuve forme donc une barrière fort utile contre les Indiens.

Le jésuite Falconer, dont les renseignements sont cependant ordinairement si corrects, représente ce ruisseau insignifiant comme un fleuve considérable qui prend sa source au pied de la Cordillère. Je crois que c’est là, en effet, qu’il prend sa source, car le Gaucho m’affirme que ce fleuve déborde chaque année au milieu de l’été, à la même époque que le Colorado ; or, ces débordements ne peuvent provenir que de la fonte des neiges dans les Andes. Mais il est fort improbable qu’un fleuve, aussi insignifiant que le Sauce au moment où je l’ai vu, traverse toute la largeur du continent ; en outre, s’il n’était dans cette saison que le résidu d’un grand fleuve, ses eaux, ainsi qu’on l’a remarqué dans tant de cas et dans de si nombreux pays, seraient chargées de sel. Nous devons donc attribuer aux sources qui se trouvent autour de la sierra Ventana les eaux claires et limpides qui coulent dans son lit pendant l’hiver. Je pense que les plaines de la Patagonie, tout comme celles de l’Australie, sont traversées par bien des cours d’eau qui ne remplissent leur fonction de fleuve qu’à certaines époques. C’est là probablement ce qui arrive pour le fleuve qui se jette dans le port Desire, et aussi pour le rio Chupat, sur les bords duquel les officiers chargés d’en relever les rives ont trouvé des masses de scories cellulaires.

Comme il était encore de bonne heure au moment de notre arrivée, nous prenons des chevaux frais, un soldat pour nous guider, et nous partons pour la sierra de la Ventana. On aperçoit cette montagne du port de Bahia Blanca, et le capitaine Fitz-Roy estime sa hauteur à 3 340 pieds (1 000 mètres), altitude fort remarquable dans la partie orientale du continent. Je crois être le premier Européen qui ait gravi cette montagne ; un fort petit nombre même des soldats de la garnison de Bahia Blanca avaient eu la curiosité de la visiter. Aussi répétait-on toutes sortes d’histoires sur les couches de charbon, sur les mines d’or et d’argent, sur les cavernes et sur les forêts qu’elle contenait, histoires qui enflammaient ma curiosité ; mais un cruel désappointement m’attendait. De la posta à la montagne il y a environ 6 lieues à travers une plaine aussi plate, aussi désolée, que celle que nous avions traversée dans la matinée ; mais la course n’en était pas moins intéressante, car chaque pas nous rapprochait de la montagne, dont les véritables formes nous apparaissaient plus distinctement. Arrivés au pied de la montagne,