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DE BAHIA BLANCA A BUENOS AYERES.

de se disperser dans toutes les directions ; un orage a sur eux le même effet. Il y a peu de temps un officier quitta Buenos Ayres avec cinq cents chevaux, il n’en avait plus vingt quand il rejoignit l’armée.

Peu de temps après un nuage de poussière nous apprend qu’une troupe de cavaliers se dirige vers nous ; mes compagnons les reconnaissent pour des Indiens alors qu’ils sont encore à une distance considérable, à leurs cheveux épars sur le dos. Ordinairement les Indiens portent un bandeau autour de la tête, mais aucun vêtement, et leurs longs cheveux noirs soulevés par le vent leur donnent un aspect plus sauvage encore. C’est une partie de la tribu amie de Bernantio qui se rend à une saline pour faire une provision de sel. Les Indiens mangent beaucoup de sel ; leurs enfants croquent des morceaux de sel comme les nôtres croquent des morceaux de sucre. Les Gauchos ont un goût tout différent, car ils en mangent à peine, bien qu’ils aient le même genre de vie ; selon Mungo Park[1], les peuples qui ne se nourrissent que de légumes ont une véritable passion pour le sel. Les Indiens, lancés au galop, nous saluèrent amicalement en passant ; ils chassaient devant eux un troupeau de chevaux et étaient suivis à leur tour par une bande de chiens maigres.

12 et 13 septembre. — Je reste deux jours à cette posta ; j’attends une troupe de soldats qui doit passer ici se rendant à Buenos Ayres. Le général Rosas a eu la bonté de me faire prévenir du passage de cette troupe et il m’engage à l’attendre pour profiter d’une aussi bonne escorte. Dans la matinée je vais visiter quelques collines du voisinage pour voir le pays et pour les examiner au point de vue géologique. Après le dîner les soldats se divisent en deux camps pour essayer leur adresse avec les bolas. On plante deux lances dans le sol à 35 mètres de distance l’une de l’autre, mais les bolas ne les atteignent qu’une fois sur quatre ou cinq fois. On peut lancer les bolas à 50 ou 60 mètres, mais sans pouvoir viser. Toutefois cette distance ne s’applique pas aux hommes à cheval ; quand la vitesse du cheval vient s’ajouter à la force du bras, on peut les lancer, dit-on, avec presque certitude d’atteindre le but, à une distance de 80 mètres. Comme preuve de la force de cette arme, je puis citer le fait suivant : quand les Espagnols, aux îles Falkland, assassinèrent une partie de leurs compatriotes et tous les Anglais qui s’y trouvaient, un jeune Espagnol se sauvait de toute

  1. Travels in Africa, p. 233.