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DE BAHIA BLANCA À BUENOS AYRES.

tué un grand nombre de grands oiseaux et qui a blessé beaucoup de bestiaux. Les grêlons étaient plats, l’un d’eux avait une circonférence de 10 pouces et un autre pesait 2 onces ; ces grêlons défoncèrent une route empierrée, comme auraient pu le faire des balles ; ils passaient à travers les vitres en faisant un trou rond, mais sans les craqueler.

Après dîner, nous traversons la sierra Tapalguen, chaîne de collines de quelques centaines de pieds d’élévation, qui commence au cap Corrientes. Dans la partie du pays où je me trouve, le roc est du quartz pur ; plus à l’est, on me dit que c’est du granite. Les collines affectent une forme remarquable ; elles consistent en plateaux entourés de falaises perpendiculaires peu élevées, comme les lambeaux détachés d’un dépôt sédimentaire. La colline sur laquelle je montai est fort peu importante, elle n’a guère que 200 mètres de diamètre ; mais j’en vois d’autres plus grandes. L’une d’elles, à laquelle on a donné le nom de Corral, a, dit-on, 2 ou 3 milles de diamètre et est enfermée par des falaises perpendiculaires ayant de 30 à 40 pieds de haut, sauf en un endroit où se trouve l’entrée. Falconer[1] raconte que les Indiens poussent dans cet enclos naturel des troupes de chevaux sauvages, et qu’il leur suffit de garder l’entrée pour les empêcher de sortir. Je n’ai jamais entendu citer d’autre exemple de plateaux dans une formation de quartz qui, dans la colline que j’ai examinée, ne portait aucune trace de clivage ou de stratification. On m’a dit que le roc du corral est blanc et produit des étincelles quand on le frappe.

Nous n’arrivons qu’après la nuit tombée à la posta, située sur les bords du rio Tapalguen. À souper, d’après quelques mots que j’entends prononcer, je suis soudain frappé d’horreur à la pensée que je mange un des plats favoris du pays, c’est-à-dire un veau à demi formé. C’était du puma ; la viande de cet animal est très-blanche et a le goût du veau. On s’est beaucoup moqué du docteur Shaw, pour avoir dit que « la chair du lion est fort estimée et que par la couleur, le goût et la saveur elle ressemble beaucoup à la chair du veau. » Il en est certainement ainsi pour le puma. Les Gauchos diffèrent d’opinion, quant à la chair du jaguar ; mais ils disent tous que le chat fait un manger excellent.

17 septembre. — Nous suivons le rio Tapalguen, à travers un pays fertile, jusqu’à la neuvième posta. Tapalguen lui-même, ou la ville

  1. Falconer, Patagonia, p. 70.