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ORAGE DE GRÊLE.

de la sierra Tapalguen. Nous avons traversé un pays absolument plat ; le sol, mou et tourbeux, est recouvert d’herbes grossières. La hutte est fort propre et fort habitable ; les poteaux et les poutres consistent en une douzaine environ de tiges de chardons liées ensemble par des rubans de cuir ; ces poteaux, qui ressemblent à des colonnes ioniques, supportent le toit et les côtés recouverts de roseaux en guise de chaume. On me raconte ici un fait que je n’aurais pas voulu croire si je n’en avais été en partie le témoin oculaire. Pendant la nuit précédente, de la grêle, aussi grosse que de petites pommes et extrêmement dure, était tombée avec tant de violence, qu’elle avait tué un grand nombre d’animaux sauvages. Un des soldats avait trouvé treize cadavres de cerfs (Cervus campestris), et on me montra leur peau encore toute fraîche ; quelques minutes après mon arrivée, un autre soldat en apporta sept autres. Or, je sais parfaitement qu’un homme sans chiens n’aurait pas pu tuer sept cerfs en une semaine. Les hommes affirmaient avoir vu au moins quinze autruches mortes (nous en avions une pour dîner) ; ils ajoutaient que beaucoup d’autres avaient été aveuglées. Un grand nombre de petits oiseaux, tels que canards, faucons et perdrix, avaient été tués. On me montra une perdrix dont le dos tout noir semblait avoir été frappé avec une grosse pierre. Une haie de tiges de chardons qui entourait la hutte, avait été presque détruite, et un des hommes, en mettant la tête dehors pour voir ce qu’il y avait, avait reçu une blessure grave ; il portait un bandage. L’orage n’avait, me dit-on, exercé ses ravages que sur une étendue de terrain peu considérable. De notre bivouac de la dernière nuit, nous avions vu, en effet, un nuage fort noir et des éclairs dans cette direction. Il est incroyable que des animaux aussi forts que les cerfs aient été tués de cette façon ; mais, d’après les preuves que je viens de rapporter, je suis persuadé qu’on m’a raconté le fait sans l’exagérer.

Je suis heureux, toutefois, que le jésuite Drobrizhoffer[1] ait par avance confirmé ce témoignage ; parlant d’un pays situé beaucoup plus au nord, il dit : « Il est tombé de la grêle si grosse, qu’elle a tué un grand nombre de bestiaux. Les Indiens, depuis cette époque, appellent l’endroit où elle est tombée Lalegraicavalca, c’est-à-dire « les petites choses blanches. » Le docteur Malcolmson m’apprend aussi qu’il a assisté dans l’Inde, en 1831, à un orage de grêle qui a

  1. History of the Abipones, vol. II. p. 6.