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LA VISCACHE.

l’Uruguay ; il y a cependant dans cette province des plaines qui paraissent devoir merveilleusement se prêter à ses habitudes. L’Uruguay a présenté un obstacle insurmontable à sa migration, bien qu’il ait traversé la barrière plus large encore formée par le Parana et qu’il soit commun dans la province d’Entre-Rios, située entre les deux grands fleuves. Cet animal abonde dans les environs de Buenos Ayres. Il semble habiter de préférence les parties de la plaine que recouvrent pendant une partie de l’année les chardons géants à l’exclusion de toute autre plante. Les Gauchos affirment qu’il se nourrit de racines, ce qui semble fort probable, si l’on en juge par la puissance de ses dents et les lieux qu’il fréquente d’ordinaire. Le soir, les Viscaches sortent en grand nombre de leur terrier et s’asseyent tranquillement à l’entrée. Elles paraissent alors presque apprivoisées, et un homme à cheval qui passe devant elles, loin de les effrayer, semble fournir un nouvel aliment à leurs graves méditations. La Viscache marche gauchement, et quand on la voit par derrière alors qu’elle rentre dans son terrier, sa queue élevée et ses jambes de devant si courtes la font beaucoup ressembler à un gros rat. La chair de cet animal est fort blanche et a très-bon goût, cependant on en mange peu.

La Viscache a une habitude très-singulière : elle apporte à l’entrée de son terrier tous les objets durs qu’elle peut trouver. Autour de chaque groupe de trous on voit, réunis en un tas irrégulier, presque aussi considérable que le contenu d’une brouette, des ossements, des pierres, des tiges de chardon, des mottes de terre durcie, de la bouse desséchée, etc. On m’a dit, et la personne qui m’a donné ce renseignement est digne de foi, que, si un cavalier perd sa montre pendant la nuit, il est presque sur de la retrouver le lendemain matin en allant examiner l’entrée des terriers des Viscaches sur la route qu’il a parcourue la veille. Cette habitude de ramasser toutes les substances dures qui peuvent se trouver sur le sol dans le voisinage de son habitation doit causer beaucoup de travail à cet animal. Dans quel but le fait-il ? Il m’est impossible de le dire, je ne puis même former aucune conjecture. Ce ne peut être dans un but défensif, car l’amas de débris se trouve la plupart du temps au-dessus de l’ouverture du terrier, qui pénètre en terre en s’inclinant un peu. Cependant il doit y avoir une bonne raison, mais les habitants du pays n’en savent pas plus que moi à ce sujet. Je ne connais qu’un seul fait analogue, l’habitude qu’a cet oiseau extraordinaire de l’Australie, le Calodera maculata, de construire avec des