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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/159

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GRANDE SÉCHERESSE.

de toutes les petites rivières devint saumâtre et ce fait causa la mort de beaucoup d’animaux en certains endroits, car, quand un animal boit de cette eau, il meurt infailliblement. Azara[1] décrit la fureur des chevaux en semblable occasion ; tous s’élancent dans les marais, et les premiers arrivés sont écrasés par la foule qui les suit. Il ajoute qu’il a vu plus d’une fois les cadavres de plus de mille chevaux sauvages qui avaient péri ainsi. J’ai remarqué que le lit des petits ruisseaux dans les Pampas est recouvert d’une véritable couche d’ossements ; mais cette couche provient probablement d’une accumulation graduelle, plutôt que d’une grande destruction à une période quelconque. Après la grande sécheresse de 1827-1832 survint une saison très-pluvieuse qui amena de vastes inondations. Il est donc presque certain que des milliers de squelettes ont été enfouis par les dépôts de l’année même qui a suivi la sécheresse. Que dirait un géologue en voyant une collection aussi énorme d’ossements, appartenant à des animaux de toutes les espèces et de tous les âges, enfouie, dans une épaisse masse de terre ? Ne serait-il pas disposé à l’attribuer à un déluge, plutôt qu’au cours naturel des choses[2] ?

12 octobre. — J’avais l’intention de pousser plus loin mon excursion ; mais, ne me portant pas très-bien, je me vois forcé de prendre passage à bord d’un balandra, ou barque à un mât, d’environ 100 tonneaux, qui part pour Buenos Ayres. Le temps n’étant pas beau, nous mouillons de bonne heure dans la journée, en nous attachant à une branche d’arbre au bord d’une île. Le Parana est plein d’îles détruites et renouvelées constamment. Le capitaine de la barque se rappelle en avoir vu disparaître quelques-unes, et des plus grandes, puis d’autres se former et se couvrir d’une riche végétation. Ces îles se composent de sable boueux, sans le plus petit caillou ; à l’époque de mon voyage, leur surface se trouvait à environ 4 pieds au-dessus de l’eau ; mais elles sont inondées pendant les débordements périodiques du fleuve. Elles présentent toutes un même caractère : elles sont couvertes par de nombreux saules et quelques autres arbres reliés ensemble par une grande variété de plantes grimpantes, ce qui forme un fourré impénétrable. Ces fourrés servent de retraite aux capybaras et aux

  1. Voyages, vol. I, p. 374.
  2. Ces sécheresses semblent être périodiques dans une certaine mesure. On m’a cité les dates de plusieurs autres, et elles paraissent se produire tous les quinze ans.