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LE RIO PARANA.

dent autant que d’autres font complètement défaut, l’autre possédant un climat tropical et un sol qui, s’il faut en croire le meilleur de tous les juges, M. Bonpland, n’a peut-être pas son égal au monde pour sa fertilité. Combien autre eût été ce fleuve, si des colons anglais avaient eu la chance de remonter les premiers le rio de la Plata ! Quelles villes magnifiques occuperaient aujourd’hui ses rives ! Jusqu’à la mort de Francia, dictateur du Paraguay, ces deux pays doivent rester aussi distincts que s’ils étaient placés aux deux extrémités du globe. Mais de violentes révolutions, violentes proportionnellement au calme si peu naturel qui y règne aujourd’hui, déchireront le Paraguay quand le vieux tyran sanguinaire ne sera plus. Ce pays aura à apprendre, comme tous les États espagnols de l’Amérique du Sud, qu’une république ne peut pas subsister tant qu’elle ne s’appuie pas sur des hommes qui respectent les principes de la justice et de l’honneur.

20 octobre. — Arrivé à l’embouchure du Parana et fort pressé d’arriver à Buenos Ayres, je débarque à Las Conchas, avec l’intention de continuer mon voyage à cheval. Je m’aperçois, à ma grande surprise, dès que j’ai débarqué, que l’on me considère dans une certaine mesure comme un prisonnier. Une violente révolution a éclaté et l’embargo est mis sur tous les ports. Il m’est impossible de retourner à la barque que je viens de quitter, et quant à me rendre par terre à la capitale, il n’y faut pas penser. Après une longue conversation avec le commandant, j’obtiens la permission de me rendre auprès du général Rolor, qui commande une division des rebelles de ce côté de la capitale. Je vais le lendemain matin à son camp ; général, officiers et soldats, tous me parurent, et étaient réellement, je crois, d’abominables coquins. Le général, par exemple, la veille même du jour où il quitta Buenos Ayres, alla volontairement trouver le gouverneur et, plaçant la main sur son cœur, lui jura que lui, au moins, resterait fidèle jusqu’à la mort. Le général me dit que la capitale est hermétiquement bloquée et que tout ce qu’il peut faire est de me donner un passe-port pour me rendre auprès du commandant en chef des rebelles campé à Quilmes. Il me fallait donc faire un circuit considérable autour de Buenos Ayres, et je ne pus me procurer des chevaux qu’avec la plus grande difficulté.

On me reçut fort civilement au camp des rebelles, mais on me dit qu’il était impossible de me permettre d’entrer dans la ville. Or c’est ce que je désirais par-dessus tout, car je croyais