Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
ARAIGNÉES AÉRONAUTES.

Dans plusieurs occasions, alors que le Beagle se trouvait à l’embouchure de la Plata, je remarquai que les mâts et les cordages se recouvraient de fils de la Vierge. Un jour (le 1er novembre 1832), je m’occupai tout particulièrement de cette question. Le temps, depuis quelques jours, était beau et clair, et, dans la matinée, l’air était plein de ces toiles floconneuses, comme par un beau jour d’automne en Angleterre. Le vaisseau était alors à 60 milles (96 kilomètres) de la terre dans la direction d’une brise constante, bien que fort légère. Ces fils de la Vierge supportaient un grand nombre de petites araignées couleur rouge foncé et ayant à peu près un dixième de pouce de longueur. Il devait y en avoir plusieurs milliers sur le bâtiment. Au moment du contact avec la mâture, la petite araignée reposait toujours sur un seul fil et jamais sur la masse floconneuse, laquelle masse semble d’ailleurs produite par un enchevêtrement de fils séparés. Toutes ces araignées appartenaient à la même espèce ; il y en avait des deux sexes, ainsi que des jeunes ; ces dernières étaient plus petites et plus foncées en couleur. Je ne donnerai pas la description de cette araignée, me contentant de constater qu’elle ne me paraît pas comprise au nombre des genres décrits par Latreille. Dès son arrivée, le petit aéronaute se mettait à l’ouvrage, courant de tous côtés, se laissant quelquefois descendre le long d’un fil et remontant par le même chemin ; d’autres fois, s’occupant à construire une petite toile fort irrégulière dans les intervalles entre les cordages. Cette araignée court facilement à la surface de l’eau. Si on la trouble, elle lève ses deux pattes de devant dans l’attitude de l’attention. En arrivant, elle parait toujours fort altérée et elle boit avec avidité les gouttes d’eau qu’elle peut rencontrer ; Strack a observé ce même fait ; ne serait-ce pas parce que ce petit insecte vient de traverser une atmosphère fort sèche et fort raréfiée ? Sa réserve de fil semble inépuisable. J’ai remarqué que le plus léger souffle d’air suffit à entraîner horizontalement celles qui sont suspendues à un fil. Dans une autre occasion (le 25), j’observai avec soin la même espèce de petite araignée : quand on la place sur une petite éminence, ou qu’elle a grimpé jusque-là, elle soulève son abdomen, laisse échapper un fil, puis se met à voguer horizontalement avec une rapidité inexplicable. J’ai cru m’apercevoir qu’avant de se préparer comme il vient d’être indiqué l’araignée se réunit les pattes avec des fils presque imperceptibles ; mais je ne suis pas certain que cette observation soit correcte.