Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
3
RIBEIRA-GRANDE.

d’Europe par sa manière de voler, par ses habitudes et par son affection pour les vallées les plus sèches, qu’il habite ordinairement.

Je me rends, en compagnie de deux des officiers du vaisseau, à Ribeira-Grande, village situé à quelques kilomètres à l’est de Porto-Praya. Jusqu’à la vallée de Saint-Martin, le paysage conserve son aspect brun monotone, mais là, un petit cours d’eau donne naissance à une riche végétation. Une heure après, nous arrivons à Ribeira-Grande et nous sommes tout surpris de nous trouver en présence d’une grande forteresse en ruines et d’une cathédrale. Avant l’ensablement de son port, ce petit village était la ville la plus considérable de l’île ; l’aspect de ce village, quelque pittoresque que soit sa position, n’est pas sans provoquer une profonde mélancolie. Nous prenons pour guide un pâtre nègre et pour interprète un Espagnol qui a fait la guerre de la Péninsule ; ils nous font visiter une multitude d’édifices et principalement une ancienne église où sont enterrés les gouverneurs et les capitaines généraux de l’île. Quelques-unes de ces tombes portent la date du seizième siècle[1], et, seuls, les ornements héraldiques qui les recouvrent nous rappellent l’Europe dans ce coin perdu. Cette église, ou plutôt cette chapelle, forme un des côtés d’une place au milieu de laquelle croît un bosquet de bananiers ; un hôpital contenant environ une douzaine de misérables habitants occupe un des autres côtés de la même place.

Nous retournons à la venda pour dîner. Une foule considérable d’hommes, de femmes et d’enfants, tous aussi noirs que le jais, se réunissent pour nous examiner. Notre guide et notre interprète, fort joyeux compagnons, éclatent de rire à chacun de nos gestes, à chacune de nos paroles. Avant de quitter la ville, nous visitons la cathédrale, qui ne nous paraît pas aussi riche que la petite église, mais qui s’enorgueillit de la possession d’un petit orgue aux sons singulièrement peu harmonieux. Nous donnons quelques shillings au prêtre nègre, et l’Espagnol, lui caressant la tête, dit avec beaucoup de candeur qu’il pense que la couleur de la peau a peu d’importance. Nous retournons alors à Porto-Praya aussi vite que nos poneys peuvent nous porter.

Un autre jour, nous partons à cheval pour aller visiter le village

  1. Les îles du Cap-Vert ont été découvertes en 1449. Nous avons vu la tombe d’un évèque qui porte la date de 1571 ; une autre tombe, ornée d’un écusson composé d’une main et d’un poignard, porte la date de 1497.