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GUANACOS.

pays ils ne boiraient pas du tout, s’ils ne buvaient pas de l’eau salée. Pendant la journée on les voit souvent se rouler à terre dans des enfoncements qui affectent la forme d’une soucoupe. Les mâles se livrent de terribles combats ; un jour deux mâles passèrent tout auprès de moi sans m’apercevoir, occupés qu’ils étaient à se mordre en poussant des cris perçants ; la plupart de ceux que nous avons tués portaient, d’ailleurs, de nombreuses cicatrices. Quelquefois un troupeau semble faire une exploration. À Bahia Blanca, où, dans un rayon de 30 milles à partir de la côte, ces animaux sont fort rares, j’ai remarqué un jour les traces de trente ou quarante d’entre eux qui étaient venus en ligne directe jusqu’à une petite crique contenant de l’eau salée boueuse. Ils s’aperçurent sans doute alors qu’ils s’approchaient de la mer, car ils pivotèrent avec toute la régularité d’un régiment de cavalerie et s’éloignèrent en suivant une route aussi droite que celle qu’ils avaient suivie pour venir. Les guanacos ont une singulière habitude que je ne peux m’expliquer : pendant plusieurs jours de suite ils vont déposer leurs excréments sur un tas particulier et toujours le même. J’ai vu un de ces amas qui avait 8 pieds de diamètre et qui formait une masse considérable. Selon M. A. d’Orbigny, toutes les espèces du genre ont la même habitude, habitude fort précieuse d’ailleurs pour les Indiens du Pérou qui emploient ces matières comme combustible et qui n’ont pas ainsi la peine de les rassembler.

Les guanacos semblent affectionner tout particulièrement certains endroits pour y aller mourir. Sur les rives du Santa Cruz, dans certains endroits isolés, ordinairement recouverts de taillis et toujours situés près du fleuve, le sol disparaît absolument sous les ossements accumulés. J’ai compté jusqu’à vingt têtes dans un seul endroit. J’ai examiné avec soin les ossements qui se trouvaient là, ils n’étaient ni rongés, ni brisés, comme plusieurs que j’avais rencontrés çà et là, et n’avaient certainement pas été réunis par des bêtes de proie. Ces animaux avaient dû, dans presque tous les cas, se traîner en cet endroit pour venir mourir au milieu de ces buissons. M. Bynoe m’apprend qu’il a fait la même remarque dans un voyage sur les bords du rio Gallegos. La cause de cette habitude m’échappe absolument, mais j’ai remarqué que, dans les environs du Santa Cruz, tous les guanacos blessés se dirigent toujours vers le fleuve. À San Iago, dans les îles du Cap-Vert, je me rappelle avoir vu, dans le coin retiré d’un ravin, un amoncellement d’ossements de chèvres : nous nous étions écriés, en contemplant ce spec-