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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/196

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PATAGONIE.

tacle, que c’était là le cimetière de toutes les chèvres de l’île. Je rapporte cette circonstance, insignifiante en apparence, parce qu’elle peut expliquer dans une certaine mesure la présence d’une grande quantité d’ossements dans une caverne, ou des amas d’ossements sous un dépôt d’alluvion ; elle explique aussi comment il se fait que certains animaux sont plus communément enfouis que d’autres dans les dépôts de sédiment.

Un jour le capitaine expédia la yole, sous le commandement de M. Chaffers, avec trois jours de provisions, pour reconnaître la partie supérieure du port. Nous commençâmes par rechercher quelques sources d’eau douce indiquées sur une vieille carte espagnole. Nous trouvâmes une crique au sommet de laquelle coulait un petit ruisseau d’eau saumâtre. L’état de la marée nous força de rester là pendant plusieurs heures. Je profitai de ce délai pour aller faire une promenade dans l’intérieur des terres. La plaine se compose, comme à l’ordinaire, de galets mélangés à un terrain qui a tout l’aspect de la craie, mais dont la nature est bien différente. Le peu de dureté de ces matériaux détermine la formation d’un grand nombre de ravins. Le paysage tout entier ne présente que solitude et désolation ; on n’aperçoit pas un seul arbre, et, sauf peut-être un guanaco qui semble monter la garde, sentinelle vigilante, sur le sommet de quelque colline, c’est à peine si l’on voit un animal ou un oiseau. Et cependant on ressent comme un sentiment de plaisir fort vif, sans qu’il soit bien défini, quand on traverse ces plaines, où pas un seul objet n’attire vos regards. On se demande depuis combien de temps la plaine existe ainsi, combien de temps encore durera cette désolation.

« Qui peut répondre ? — Tout ce qui nous entoure actuellement semble éternel. Et cependant le désert fait entendre des voix mystérieuses qui évoquent des doutes terribles[1]. »

Dans la soirée, nous remontons quelques milles plus haut, puis nous disposons les tentes pour la nuit. Dans la journée du lendemain, la yole échouait et l’eau était si peu profonde que notre embarcation ne pouvait aller plus loin. L’eau était presque douce, aussi M. Chaffers prit-il le bateau à rames pour remonter encore 2 ou 3 milles. Là, nous échouâmes encore ; mais, cette fois, dans l’eau douce. L’eau était bourbeuse, et, bien que ce fût un simple ruisseau, il serait difficile d’expliquer son origine autrement

  1. Shelley, vers sur le mont Blanc