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EXPLORATION DU SANTA CRUZ.

des troupeaux comprenant de cinquante à cent individus et, comme je l’ai déjà dit, j’en ai vu un qui comprenait au moins cinq cents têtes. Le puma chasse et mange ces animaux et est escorté à son tour par le condor et par les vautours. À chaque instant je remarquais les traces du puma sur les bords du fleuve, et, souvent aussi, des squelettes de guanacos, le cou disloqué et les os brisés, ce qui indiquait, sans qu’on pût s’y méprendre, quel avait été leur genre de mort.

24 avril. — Tout comme les anciens navigateurs, alors qu’ils approchaient d’une terre inconnue, nous examinons, nous remarquons les moindres signes qui peuvent indiquer un changement. Nous éprouvons autant de joie en apercevant un tronc d’arbre flottant ou un bloc erratique détaché du rocher primitif, que si nous voyions une forêt croissant sur les croupes de la Cordillère. Mais le signe qui promet le plus est une couche épaisse de nuages qui restent presque constamment à la même place. Ce signe, en effet, devait tenir toutes ses promesses, comme nous avons pu en juger plus tard ; mais, tout d’abord, nous avions pris les nuages pour le sommet de la montagne elle-même, et non pour des masses de vapeurs condensées autour de son sommet glacé.

26 avril. — Nous observons aujourd’hui un changement remarquable dans la structure géologique des plaines. Depuis notre départ j’avais examiné avec soin le gravier du fleuve, et, pendant les deux derniers jours, j’avais remarqué la présence de quelques petits cailloux formés de basalte très-cellulaire. Ces cailloux augmentèrent en nombre et en grosseur ; aucun d’eux cependant n’était aussi gros qu’une tête d’homme. Ce matin, toutefois, des cailloux de même espèce, mais plus gras, deviennent tout à coup plus abondants et, au bout d’une demi-heure, nous apercevons, à 5 ou 6 milles de distance, le coin angulaire d’une grande plate-forme de basalte. À la base de cette plate-forme le fleuve bouillonne sur les blocs tombés dans son lit. Pendant 28 milles, le courant de la rivière se trouve encombré de ces masses basaltiques. Au-dessous de ce point, d’immenses fragments des rocs primitifs appartenant à la formation erratique deviennent également nombreux. Aucun fragment de grosseur un peu considérable n’a été entraîné à plus de 3 ou 4 milles par le courant du fleuve. Or, si l’on considère la vitesse singulière du volume d’eau considérable que roule le Santa Cruz ; si l’on considère qu’aucun ralentissement de courant ne se produit en aucun point, on a là un exemple frappant