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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/208

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LE SANTA CRUZ.

Nous apercevons au loin une fumée considérable et nous trouvons le squelette d’un cheval, signes certains que les Indiens sont dans notre voisinage. Le lendemain matin (21), nous remarquons sur le sol les pistes d’une troupe à cheval et les empreintes faites par les chuzos ou longues lances que les Indiens laissent souvent traîner à terre. Nous en arrivons à la conclusion que les Indiens sont venus nous observer pendant la nuit. Peu de temps après, nous arrivons à un endroit où, d’après les empreintes toutes fraîches de pas d’hommes, d’enfants et de chevaux, il devient évident que les naturels ont traversé le fleuve.

22 avril. — Le paysage offre toujours aussi peu d’intérêt. La similitude absolue des productions, dans toute l’étendue de la Patagonie, constitue un des caractères les plus frappants de ce pays. Les plaines caillouteuses, arides, portent partout les mêmes plantes rabougries ; dans toutes les vallées croissent les mêmes buissons épineux. Partout, nous voyons les mêmes oiseaux et les mêmes insectes. C’est à peine même si une teinte verte un peu plus accentuée borde les rives du fleuve et des ruisseaux limpides qui viennent se jeter dans son sein. La stérilité s’étend comme une vraie malédiction sur tout ce pays et l’eau elle-même, coulant sur un lit de cailloux, semble participer à cette malédiction. Aussi rencontre-t-on fort peu d’oiseaux aquatiques ; quelle nourriture pourraient-ils trouver dans ces eaux qui ne donnent la vie à rien ?

Quelque pauvre que soit la Patagonie sous certains rapports, elle peut cependant se vanter de posséder peut-être un plus grand nombre de petits rongeurs qu’aucun autre pays du monde[1]. Plusieurs espèces de souris ont de grandes oreilles minces et une fort belle fourrure. On rencontre, au milieu des buissons qui croissent dans les vallées, des quantités innombrables de ces petits animaux, qui, pendant des mois entiers, doivent se contenter de la rosée pour toute boisson, car il n’y a pas une seule goutte d’eau. Ils semblent tous être cannibales ; en effet, dès qu’une de ces souris s’était laissé prendre dans mes piéges, les autres se mettaient à la dévorer. Un petit renard, aux formes délicates, fort abondant, se nourrit sans doute exclusivement de ces petits animaux. C’est là aussi le véritable habitat du guanaco ; je pouvais à chaque instant voir

  1. Selon Volney (t. I, p. 351), des buissons, des rats, des gazelles et des lièvres en quantité considérable constituent le principal caractère des déserts de la Syrie. En Patagonie, le guanaco remplace la gazelle, et l’agouti le lièvre.