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CHEVAUX SAUVAGES.

au combat dans l’avenir. Ce fut un intéressant spectacle de voir comment l’intelligence vient en quelques minutes à bout de la force brutale. Au moment où il se précipitait sur le cheval de l’un de mes compagnons de route, un lasso lui enveloppa les cornes et un autre les jambes de derrière ; en un instant, le monstre gisait impuissant sur le sol. Il semble fort difficile, à moins de tuer la bête, de détacher un lasso dès qu’il s’est enroulé autour des cornes d’un animal furieux ; ce serait, je crois, chose impossible pour un homme seul. Mais si un second homme jette son lasso de façon à entourer les deux jambes de derrière, l’opération devient très-facile. L’animal, en effet, reste étendu et absolument inerte tant que l’on tient fortement ses deux jambes de derrière ; le premier homme peut alors s’avancer et détacher son lasso avec ses mains, puis remonter tranquillement à cheval ; mais, dès que le second homme vient à relâcher, si peu que ce soit, la tension du lasso, celui-ci glisse sur les jambes du taureau, qui se relève furieux et essaye, mais en vain, de se précipiter sur son adversaire.

Pendant tout notre voyage, nous n’avons rencontré qu’un seul troupeau de chevaux sauvages. Ce sont les Français qui ont, en 1764, introduit ces animaux dans l’île aussi bien que les bestiaux ; depuis cette époque, chevaux et bestiaux ont considérablement augmenté en nombre. Fait curieux : les chevaux n’ont jamais quitté l’extrémité orientale de l’île, bien qu’aucune barrière ne s’oppose à leur passage et que cette partie de l’île ne soit pas plus tentante pour eux que les autres parties. Les Gauchos que j’ai interrogés m’ont affirmé que c’est là un fait certain, mais ils n’ont pu me donner à ce sujet aucune explication, sauf toutefois le vif attachement qu’éprouvent les chevaux pour les localités qu’ils fréquentent ordinairement. Je désirais particulièrement savoir quelle cause avait pu arrêter leur accroissement, si considérable dans le principe, arrêt d’accroissement d’autant plus remarquable, que l’île n’est pas entièrement habitée par eux et qu’il ne s’y trouve aucune bête féroce. Il est sans doute inévitable que, dans une île limitée en étendue, une cause quelle qu’elle soit doit tôt ou tard arrêter le développement d’un animal ; mais pourquoi le développement du cheval s’est-il arrêté plutôt que celui des bestiaux ? Le capitaine Sulivan a essayé de me fournir quelques renseignements à cet égard. Les Gauchos qui habitent ici attribuent principalement ce fait à ce que les étalons changent constamment de domicile et forcent les juments à les accompagner, que les jeunes soient ou non en état de les suivre. Un