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LES ILES FALKLAND.

poisson, et, bien que l’eau fût très-profonde, le ramena à la surface. J’ai vu aux Zoological Gardens une loutre traiter un poisson de la même manière, absolument comme un chat joue avec une souris. Je ne connais aucun autre cas où dame nature se montre aussi méchamment cruelle. Un autre jour, je me plaçai entre un pingouin (Aptenodytes demersa) et l’eau et je m’amusai beaucoup à observer ses habitudes. C’était un oiseau fort brave et il se battit avec moi pour me repousser jusqu’à ce qu’il eût atteint la mer. Il me fallait lui donner des coups violents pour l’arrêter ; dès qu’il avait fait un pas en avant, il était impossible de le faire reculer et il avait un air déterminé fort curieux à voir ; il roulait la tête de droite à gauche de la façon la plus singulière, comme s’il ne pouvait voir que par la base et la partie antérieure de ses yeux. On appelle ordinairement cet oiseau le pingouin-baudet, parce qu’il a l’habitude, quand il est sur le bord de la mer, de rejeter la tête en arrière et de pousser des cris qui ressemblent, à s’y méprendre, au braiement d’un âne ; quand, au contraire, il est en mer et qu’on ne le dérange pas, il pousse une note profonde, solennelle, qu’on entend souvent pendant la nuit. Quand il plonge, il se sert de ses petites ailes en guise de nageoires, mais sur terre il s’en sort comme de jambes de devant. Quand il se traîne, on pourrait dire à quatre pattes, à travers les buissons ou sur le côté d’une falaise gazonneuse, il se meut si vite, qu’on pourrait facilement le prendre pour un quadrupède. En mer, quand il pêche, il remonte à la surface pour respirer et replonge avec une telle rapidité, que je défie qui que ce soit, à première vue, de ne pas le prendre pour un poisson qui saute hors de l’eau pour son plaisir.

Deux espèces d’oies fréquentent les îles Falkland. Une de ces espèces, Anas magellanica, se trouve communément dans toute l’île ; ces oiseaux vont par couples ou en petites bandes. Ils n’émigrent pas, mais construisent leurs nids sur les petits îlots qui entourent l’île principale. On suppose que c’est par crainte des renards ; c’est peut-être pour la même cause que ces oiseaux, presque apprivoisés pendant le jour, deviennent craintifs et fort sauvages dès qu’il fait nuit. Ils se nourrissent entièrement de matières végétales. L’oie des rochers, Anas antarctica, ainsi appelée parce qu’elle habite exclusivement sur le bord de la mer, est commune dans ces îles, ainsi que sur la côte occidentale de l’Amérique, jusqu’au Chili. Dans les canaux profonds et solitaires de la Terre de Feu on aperçoit constamment des couples de cette oie perchés sur