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LA TERRE DE FEU.

Le lendemain matin, le capitaine envoie une escouade à terre pour ouvrir des communications avec les indigènes. Arrivés à portée de la voix, un des quatre sauvages présents à notre débarquement s’avance pour nous recevoir et commence à crier aussi fort qu’il le peut, pour nous indiquer l’endroit où nous devons prendre terre. Dès que nous sommes débarqués, les sauvages paraissent quelque peu alarmés, mais continuent à parler et à faire des gestes avec une grande rapidité. C’est là, sans contredit, le spectacle le plus curieux et le plus intéressant auquel j’aie jamais assisté. Je ne me figurais pas combien est énorme la différence qui sépare l’homme sauvage de l’homme civilisé, différence certainement plus grande que celle qui existe entre l’animal sauvage et l’animal domestique, ce qui s’explique, d’ailleurs, par ce fait, que l’homme est susceptible de faire de plus grands progrès. Notre principal interlocuteur, un vieillard, paraissait être le chef de la famille ; avec lui se trouvaient trois magnifiques jeunes gens fort vigoureux et ayant environ 6 pieds ; on avait renvoyé les femmes et les enfants. Ces Fuégiens forment un contraste frappant avec la misérable race rabougrie qui habite plus à l’ouest et semblent proches parents des fameux Patagoniens du détroit de Magellan. Leur seul vêtement consiste en un manteau fait de la peau d’un guanaco, le poil en dehors ; ils jettent ce manteau sur leurs épaules et leur personne se trouve ainsi aussi souvent nue que couverte. Leur peau a une couleur rouge cuivrée, mais sale.

Le vieillard portait sur la tête un bandeau surmonté de plumes blanches, lequel retenait en partie ses cheveux noirs, grossiers et formant une masse impénétrable. Deux bandes transversales ornaient son visage : l’une, peinte en rouge vif, s’étendait d’une oreille à l’autre en passant par la lèvre supérieure ; l’autre, blanche comme de la craie, parallèle à la première, passait à la hauteur des yeux et couvrait les paupières. Ses compagnons portaient aussi comme ornements des bandes noircies au charbon. En somme, cette famille ressemblait absolument à ces diables que l’on fait paraître sur la scène dans le Freyschütz ou dans les pièces analogues.

Leur abjection se peignait jusque dans leur attitude et on pouvait facilement lire sur leurs traits la surprise, l’étonnement et l’inquiétude qu’ils ressentaient. Toutefois, dès que nous leur eûmes donné des morceaux d’étoffe écarlate qu’ils attachèrent immédiatement autour de leur cou, ils nous firent mille démonstrations d’amitié.