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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/237

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ENTREVUE AVEC LES INDIGÈNES.

Le vieillard, pour nous prouver cette amitié, nous caressait la poitrine tout en faisant entendre une espèce de gloussement semblable à celui que poussent certaines personnes pour appeler les poulets. Je fis quelques pas avec le vieillard et il répéta plusieurs fois sur ma personne ces démonstrations amicales, qu’il acheva en me donnant en même temps sur la poitrine et sur le dos trois tapes assez fortes. Puis il se découvrit la poitrine pour que je lui rende le compliment, ce que je fis, et ce qui parut le rendre fort heureux. À notre point de vue, le langage de ce peuple mérite à peine le nom de langage articulé. Le capitaine Cook l’a comparé au bruit que ferait un homme en se nettoyant la gorge, mais très-certainement aucun Européen n’a jamais fait entendre bruits aussi durs, notes aussi gutturales en se nettoyant la gorge.

Ce sont d’excellents mimes. Aussi souvent que l’un de nous toussait ou bâillait ou faisait un mouvement un peu singulier, ils le répétaient immédiatement. Un de nos hommes, pour s’amuser, se mit à loucher et à faire des grimaces ; aussitôt un des jeunes Fuégiens, dont le visage était peint tout en noir, sauf une bande blanche à la hauteur des yeux, se mit aussi à faire des grimaces, et il faut avouer qu’elles étaient bien plus hideuses que celles de notre matelot. Ils répètent très-correctement tous les mots d’une phrase qu’on leur adresse et ils se rappellent ces mots pendant quelque temps. Nous savons cependant, nous autres Européens, combien il est difficile de distinguer séparément les mots d’une langue étrangère. Qui de nous, par exemple, pourrait suivre un Indien de l’Amérique dans une phrase de plus de trois mots ? Tous les sauvages semblent posséder, à un point extraordinaire, cette faculté de la mimique. On m’a dit que les Cafres ont la même qualité si singulière ; on sait aussi que les Australiens sont célèbres pour la faculté qu’ils ont d’imiter la démarche et la manière de se tenir d’un homme, et cela de façon si parfaite qu’on le reconnaît immédiatement. Comment expliquer cette faculté ? Est-ce une conséquence des habitudes de perception plus souvent exercée par les sauvages ? est-ce un résultat de leurs sens plus développés, si on les compare aux nations depuis longtemps civilisées ?

Un de nos hommes se mit à chanter ; je crus alors que les Fuégiens allaient tomber à terre, tant ils étaient étonnés. Ils éprouvèrent le même étonnement en nous voyant danser ; mais un des jeunes gens se prêta de bonne grâce à faire un tour de valse. Quelque peu accoutumés qu’ils semblassent être à voir des Européens, ils