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ROCHERS DE SAINT-PAUL.

nuellement. Ces modifications de couleur s’effectuent de telle façon, qu’on dirait voir passer constamment sur le corps de l’animal des nuages colorés variant du rouge-jacinthe au brun marron[1]. Toute partie de leur corps soumise à un léger choc galvanique devient presque noire ; on peut produire un effet semblable, quoique moins accentué, en leur grattant la peau avec une aiguille. Ces nuages ou ces bouffées de couleur, comme on pourrait les appeler, sont produits, dit-on, par l’expansion et par la contraction successives de vésicules fort petites contenant des fluides diversement colorés[2].

Ce poulpe exhibe sa faculté de changer de couleur, et pendant qu’il nage et pendant qu’il reste stationnaire au fond de l’eau. Un de ces animaux, qui semblait parfaitement comprendre que je le surveillais, m’amusait beaucoup en employant tous les moyens possibles pour se soustraire à mes regards. Il restait immobile pendant quelque temps, puis il avançait furtivement l’espace d’un pouce ou deux, tout comme fait le chat qui cherche à se rapprocher d’une souris ; quelquefois il changeait de couleur ; il s’avança ainsi jusqu’à ce que, ayant atteint une partie de la fiaque où l’eau était plus profonde, il s’élança en s’enveloppant d’un nuage d’encre pour cacher le trou où il s’était réfugié.

Plus d’une fois, pendant que je cherchais des animaux marins, la tête à environ 2 pieds au-dessus des rochers de la côte, je reçus un jet d’eau en pleine figure, jet accompagné d’un léger bruit discordant. Tout d’abord je cherchai en vain d’où me venait cette eau, puis je découvris qu’elle était lancée par un poulpe, et, quoiqu’il fût bien caché dans un trou, ce jet me le faisait découvrir. Cet animal possède certainement le pouvoir de lancer de l’eau, et je suis persuadé qu’il peut viser et atteindre un but avec assez de certitude en modifiant la direction du tube ou du siphon qu’il porte à la partie inférieure de son corps. Ces animaux portent difficilement leur tête, aussi ont-ils beaucoup de peine à se traîner quand on les place sur le sol. J’en gardai un pendant quelque temps dans la cabine et je m’aperçus qu’il émet une légère phosphorescence dans l’obscurité.


Les rochers de Saint-Paul. — En traversant l’Atlantique, nous mettons en panne, pendant la matinée du 16 février, dans le

  1. Terme que j’emprunte à la nomenclature de Patrick Symes.
  2. Voir Encyclop of Anat. and Physiol., art. Cephalopoda.