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LA TERRE DE FEU.

blement maigres et soufraient beaucoup ; une série de tempêtes avait empêché les femmes d’aller ramasser des coquillages sur les rochers ; ils n’avaient pas pu mon plus mettre leurs canots à la mer pour aller pêcher des phoques. Quelques-uns d’entre eux partirent un matin « pour faire un voyage de quatre jours de marche, dirent les autres Indiens à M. Low, afin de se procurer des vivres ». À leur retour, le capitaine alla à leur rencontre ; ils étaient extrêmement fatigués, chaque homme portait un grand morceau de chair de baleine pourrie ; pour porter ce fardeau plus facilement, ils avaient fait un trou au centre de chaque morceau et ils y avaient passé la tête, exactement comme les Gauchos portent leurs ponchos ou manteaux. Dès que l’on avait apporté cette chair pourrie dans un wigwam, un vieillard la découpait en tranches minces, qu’il faisait frire pendant un instant en marmottant quelques paroles, puis il les distribuait à la famille affamée, qui, pendant tous ces préparatifs, gardait un profond silence. M. Low croit que, toutes les fois qu’une baleine vient à s’échouer sur la côte, les indigènes en enterrent de grands morceaux dans le sable comme ressource en temps de famine ; un jeune indigène que nous avions à bord découvrit un jour une de ces réserves. Quand les différentes tribus se font la guerre, elles deviennent cannibales. S’il faut en croire le témoignage indépendant d’un jeune garçon interrogé par M. Low et celui de Jemmy Button, il est certainement vrai que, lorsqu’ils sont vivement pressés par la faim en hiver, ils mangent les vieilles femmes avant de manger leurs chiens ; quand M. Low demanda au jeune garçon pourquoi cette préférence, il répondit : « Les chiens attrapent les loutres, et les vieilles femmes ne les attrapent pas. » Ce jeune garçon raconta ensuite comment on s’y prend pour les tuer : on les tient au-dessus de la fumée jusqu’à ce qu’elles soient étouffées, et, tout en décrivant ce supplice, il imitait en riant les cris des victimes et indiquait les parties du corps que l’on considère comme les meilleures. Quelque horrible que puisse être une telle mort infligée par la main de leurs parents et de leurs amis, il est plus horrible encore de penser aux craintes qui doivent assaillir les vieilles femmes quand la faim commence à se faire sentir. On nous a raconté qu’elles se sauvent alors dans les montagnes, mais les hommes les poursuivent et les ramènent à l’abattoir, leur propre foyer !

Le capitaine Fitz-Roy n’a jamais pu arriver à savoir si les Fuégiens croient à une autre vie. Ils enterrent quelquefois leurs morts dans