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LES FUÉGIENS.

portent des manteaux de guanaco et, sur la côte occidentale, ils se couvrent avec des peaux de phoque. Chez ces tribus centrales, les hommes n’ont qu’une peau de loutre ou un morceau de peau quelconque, grand à peu près comme un mouchoir de poche et à peine suffisant pour leur couvrir le dos jusqu’aux reins. Ce morceau de peau est lacé sur la poitrine avec des ficelles, et ils le font passer d’un côté à l’autre de leur corps, selon le point d’où souffle le vent. Mais les Fuégiens qui se trouvaient dans le canot dont je viens de parler étaient absolument nus, même une femme dans la force de l’âge qui se trouvait avec eux. La pluie tombait à torrents et l’eau douce, se mêlant à l’écume de la mer, ruisselait sur le corps de cette femme. Dans une autre baie, à peu de distance, une femme qui nourrissait un enfant nouveau-né vint un jour auprès du vaisseau ; la seule curiosité l’y retint fort longtemps, bien que la neige tombât sur son sein nu et sur le corps de son baby ! Ces malheureux sauvages ont la taille rabougrie, le visage hideux, couvert de peinture blanche, la peau sale et graisseuse, les cheveux mêlés, la voix discordante et les gestes violents. Quand on voit ces hommes, c’est à peine si l’on peut croire que ce soient des créatures humaines, des habitants du même monde que le nôtre. On se demande souvent quelles jouissances peut procurer la vie à quelques-uns des animaux inférieurs ; on pourrait se faire la même question, et avec beaucoup plus de raison, relativement à ces sauvages ! La nuit, cinq ou six de ces êtres humains, nus, à peine protégés contre le vent et la pluie de ce terrible pays, couchent sur le sol humide, serrés les uns contre les autres et repliés sur eux-mêmes comme des animaux. À la marée basse, que ce soit en hiver ou en été, la nuit ou le jour, il leur faut se lever pour aller chercher des coquillages sur les rochers ; les femmes plongent pour se procurer des œufs de mer ou restent patiemment assises des heures entières dans leur canot jusqu’à ce qu’elles aient attrapé quelques petits poissons avec des lignes sans hameçon. Si l’on vient à tuer un phoque, si l’on vient à découvrir la carcasse à demi pourrie d’une baleine, c’est le signal d’un immense festin. Ils se gorgent alors de cette ignoble nourriture et, pour compléter la fête, mangent quelques baies ou quelques champignons qui n’ont aucun goût.

Les Fuégiens souffrent souvent de la famine. M. Low, capitaine d’un navire faisant la pêche des phoques, qui connaît parfaitement les indigènes de ce pays, m’a donné de curieux détails sur cent cinquante d’entre eux habitant la côte occidentale. Ils étaient horri-