Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
LA TERRE DE FEU.

puis longtemps, n’ont plus un vêtement sec. Le capitaine Fitz-Roy abandonne donc le projet d’aller aborder à l’ouest en contournant la Terre de Feu. Le soir nous allons nous abriter derrière le faux cap Horn et nous jetons l’ancre dans un fond de quarante-sept brasses ; la chaîne, en se déroulant sur le cabestan, laisse échapper de véritables éclairs. Combien est délicieuse une nuit tranquille quand on a été si longtemps le jouet des éléments en fureur !

15 janvier 1833. — Le Beagle jette l’ancre dans la baie de Gœree. Le capitaine Fitz-Roy, résolu à débarquer les Fuégiens dans le détroit de Ponsonby, ce qu’ils désirent, fait équiper quatre embarcations pour les y conduire par le canal du Beagle. Ce canal, découvert par le capitaine Fitz-Roy pendant son précédent voyage, constitue un caractère remarquable de la géographie de ce pays, on pourrait même dire de tous les pays. On peut le comparer à la vallée de Lochness, en Écosse, avec sa chaîne de lacs et de baies. Le canal du Beagle a environ 120 milles de long avec une largeur moyenne, largeur qui varie fort peu, de 2 milles environ. Il est presque partout si parfaitement droit, que la vue, bornée de chaque côté par une ligne de montagnes, se perd dans la distance. Ce canal traverse la partie méridionale de la Terre de Feu, dans la direction de l’est à l’ouest ; vers le milieu un canal irrégulier, nommé le détroit de Ponsonby, vient le rejoindre en formant un angle droit avec lui. C’est là que demeurent la tribu et la famille de Jemmy Button.

19 Janvier. — Trois baleinières et la yole, montées par vingt-huit hommes, partent sous le commandement du capitaine Fitz-Roy. Dans l’après-midi, nous pénétrons dans l’embouchure orientale du canal, et, peu après, nous trouvons une charmante petite baie cachée par quelques îlots qui l’environnent. C’est là que nous dressons nos tentes et que nous allumons nos feux. Rien de plus délicieux que cette scène. L’eau de la petite baie, polie comme un miroir, les branches d’arbre pendant par-dessus les bords des rochers, les bateaux à l’ancre, les tentes soutenues sur les rames, la fumée s’élevant en flocons au-dessus de la forêt qui remplit la vallée, tout est empreint du calme le plus parfait. Le lendemain 20, notre flottille glisse tranquillement sur l’eau du canal et nous entrons dans un district plus habité. Un fort petit nombre de ces indigènes, aucun d’eux peut-être, n’avait encore vu un homme blanc ; dans tous les cas, il est impossible de peindre l’étonnement qu’ils ressentirent à