Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
LE CANAL DU BEAGLE.

voir douter, que nous nous trouvions dans un bras de mer. J’eus l’occasion de voir deux de ces monstres, probablement un mâle et une femelle, se jouant à une portée de pierre de la côte recouverte d’arbres dont les branches venaient baigner dans l’eau.

Nous continuons notre navigation jusqu’à la nuit, puis nous plantons nos tentes dans une crique fort tranquille. Nous étions fort heureux quand nous pouvions trouver un lit de cailloux pour y étendre nos couvertures. Les cailloux sont secs et prennent la forme du corps, les terrains tourbeux sont humides, le rocher est rugueux et dur, le sable se mêle à tous les aliments ; mais, quand on peut se bien envelopper de couvertures et trouver un bon lit de cailloux, on passe une nuit très-agréable.

J’étais de garde jusqu’à une heure. Il y a dans ces scènes quelque chose de bien solennel. En aucun autre instant on ne comprend si bien dans quel coin éloigné du monde on se trouve. Tout tend à produire cet effet ; seul le ronflement des matelots sous les tentes, ou quelquefois le cri d’un oiseau de nuit, interrompt le silence de la nuit. Quelquefois aussi l’aboiement d’un chien qu’on entend à une grande distance, rappelle qu’on se trouve dans un pays habité par des sauvages.

29 janvier. — Nous arrivons dans la matinée au point où le canal du Beagle se divise en deux bras, et nous pénétrons dans le bras septentrional. Le paysage devient encore plus imposant qu’il ne l’était auparavant. Les hautes montagnes qui le bordent au nord constituent l’axe granitique ou l’épine dorsale du pays ; elles s’élèvent à une hauteur de 3000 à 4000 pieds, et un pic atteint la hauteur de 6000 pieds. Un manteau de neiges éternelles, éblouissantes de blancheur, recouvre le sommet de ces montagnes, et de nombreuses cascades, scintillant au travers des bois, viennent se déverser dans le canal. Dans bien des endroits, de magnifiques glaciers s’étendent sur le flanc de la montagne jusqu’au bord même de l’eau. Il est impossible d’imaginer rien de plus beau que l’admirable couleur bleue de ces glaciers, surtout à cause du contraste frappant qui existe entre eux et le blanc mat de la neige qui les domine. Les fragments qui se détachent constamment de ces glaciers flottaient de toutes parts, et le canal avec ses montagnes de glace ressemblait, sur l’espace d’un mille, à une mer polaire en miniature. Nous avions échoué les bateaux sur la côte pour dîner tranquillement ; nous ne nous lassions pas d’admirer une falaise perpendiculaire de glace située à environ un