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LA TERRE DE FEU.

Le 27, cependant, toutes les femmes et tous les enfants disparurent subitement. Cette disparition nous rendit d’autant plus inquiets que ni York ni Jemmy ne purent nous en apprendre la cause. Les uns pensaient que, la veille au soir, nous avions effrayé les sauvages en nettoyant et en déchargeant nos fusils ; les autres étaient d’avis que tout venait d’un vieux sauvage qui s’était sans doute cru insulté parce qu’une sentinelle lui avait défendu de passer ; il est vrai que le sauvage avait tranquillement craché à la figure de la sentinelle, puis avait démontré, par les gestes qu’il fit sur un de ses camarades endormi, qu’il aimerait à lui couper la tête et à le manger. Pour éviter le risque d’une bataille qui n’aurait pas manqué d’être fatale à tant de sauvages, le capitaine Fitz-Roy pensa qu’il valait mieux aller passer la nuit dans une anse voisine. Matthews, avec son tranquille courage, si ordinaire chez lui, ce qui était d’autant plus remarquable qu’il ne semblait pas avoir un caractère bien énergique, résolut de rester avec nos Fuégiens, qui disaient n’avoir rien à craindre pour eux-mêmes. Nous les laissâmes donc dans l’isolement pour passer là leur première nuit.

Le lendemain matin, 28, à notre retour, nous apprenons heureusement que la tranquillité la plus parfaite n’a pas cessé de régner ; à notre arrivée, les sauvages, montés dans leurs canots, s’occupaient à pêcher. Le capitaine Fitz-Roy se décide à renvoyer au vaisseau la yole et une des baleinières, et à aller, avec les deux autres bateaux, explorer les parties occidentales du canal du Beagle ; il se propose de visiter à son retour l’établissement qu’il vient de fonder. Il prend sous son commandement direct un des bateaux, dans lequel il veut bien me permettre de l’accompagner, et il confie le commandement de l’autre à M. Hammond. Nous partons et, à notre grande surprise, il fait excessivement chaud, si chaud que nous en souffrons ; avec ce temps admirable, la vue que nous offre le canal est véritablement magnifique. Devant et derrière nous, nous voyons cette belle nappe d’eau encaissée par les montagnes se confondre avec l’horizon. La présence de plusieurs immenses baleines[1] projetant de l’eau dans différentes directions prouvait, à n’en pou-

  1. Un jour, au large de la côte orientale de la Terre de Feu, il nous fut donné d’assister à un magnifique spectacle. Plusieurs baleines immenses sautaient absolument hors de l’eau, à l’exception toutefois de leur queue. En retombant de côté, elles faisaient jaillir l’eau à une grande hauteur, et le bruit ressemblait à la bordée d’un vaisseau de guerre.