Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
RETOUR AU BEAGLE.

ler de tout ce qu’il possédait ; de nouvelles troupes de Fuégiens arrivaient constamment. York et Jemmy avaient perdu bien des choses et Matthews presque tout ce qu’il n’avait pas eu la précaution d’enterrer. Les indigènes semblaient avoir cassé ou déchiré tout ce qu’ils avaient pris et s’en être partagé les morceaux. Matthews était harassé de fatigue ; nuit et jour les indigènes l’entouraient et faisaient, pour l’empêcher de dormir, un bruit incessant autour de sa tête. Un jour, il ordonna à un vieillard de quitter son wigwam ; mais celui-ci revint immédiatement une grosse pierre à la main. Un autre jour, une troupe entière vint armée de pierres et de bâtons et Matthews fut obligé de les apaiser à force de présents. D’autres, enfin, voulurent le dépouiller de ses vêtements et l’épiler complètement. Nous arrivions, je crois, juste à temps pour lui sauver la vie. Les parents de Jemmy avaient été assez vains et assez fous pour montrer à des étrangers tout ce qu’ils avaient acquis et pour leur dire comment ils se l’étaient procuré. Il était bien triste d’avoir à laisser nos trois Fuégiens au milieu de leurs sauvages compatriotes, mais ils ne ressentaient aucune crainte, et cette pensée était pour nous une grande consolation. York, homme fort et résolu, était à peu près sûr de sortir sain et sauf, ainsi que sa femme Fuégia, des pièges qu’on pouvait lui tendre. Le pauvre Jemmy semblait désolé et eût été, je crois, fort heureux alors de revenir avec nous. Son frère lui avait volé bien des choses, et pour employer ses propres paroles : « Comment appelez-vous cela ? » il se moquait de ses compatriotes : « Ils ne savent rien, » disait-il, et, contrairement à toutes ses habitudes d’autrefois, il les traitait d’abominables coquins. Bien qu’ils n’aient passé que trois ans avec des hommes civilisés, nos trois Fuégiens auraient été heureux, je n’en doute pas, de conserver leurs nouvelles habitudes, mais c’était là chose absolument impossible. Je crains même beaucoup que leur visite en Europe ne leur ait pas été fort utile.

Dans la soirée, nous mettons à la voile pour regagner le Beagle, non pas cette fois par le canal, mais en contournant la côte méridionale. Nos bateaux étaient très-chargés, la mer fort houleuse ; aussi le passage ne manqua pas que de présenter quelques dangers. Le 7, dans la soirée, nous remontions à bord de notre vaisseau après une absence de vingt jours, et, pendant ce temps, nous avions fait 300 milles (180 kilomètres) en bateaux découverts. Le 11, le capitaine Fitz-Roy alla rendre visite à nos Fuégiens ; il les trouva