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LE MONT SARMIENTO.

les loutres, les phoques, les marsouins, périraient bientôt aussi ; et, enfin, le sauvage Fuégien, le misérable maître de ce misérable pays, redoublerait ses festins de cannibale, décroîtrait en nombre et cesserait peut-être d’exister.

8 Juin. — Nous levons l’ancre au point du jour et nous quittons Port-Famine. Le capitaine Fitz-Roy se décide à quitter le détroit de Magellan par le détroit de Magdeleine, découvert depuis peu de temps. Nous nous dirigeons directement vers le sud en suivant ce sombre couloir auquel j’ai déjà fait allusion et qui, je l’ai dit, semble conduire dans un autre monde plus terrible que celui-ci. Le vent est bon, mais il y a beaucoup de brume, aussi le paysage ne nous apparaît-il que de loin en loin. De gros nuages noirs passent rapidement sur les montagnes, les recouvrant presque de la base jusqu’au sommet. Les quelques échappées que nous apercevons à travers la masse noire nous intéressent beaucoup ; des sommets déchiquetés, des cônes de neige, des glaciers bleus, des silhouettes tranchant vivement sur un ciel de couleur lugubre se présentent à différentes hauteurs et à différentes distances. Au milieu de ces scènes, nous jetons l’ancre au cap Turn, auprès du mont Sarmiento, caché alors dans les nuages. À la base des falaises élevées et presque perpendiculaires qui entourent la petite baie où nous nous trouvons, un wigwam abandonné vient nous rappeler que l’homme habite quelquefois ces régions désolées. Mais il serait difficile d’imaginer un endroit où il semble avoir moins de droits et d’autorité. Les œuvres inanimées de la nature, rocs, glaces, neige, vent et eau, se livrant une guerre perpétuelle, mais toutes cependant coalisées contre l’homme, ont ici une autorité absolue.

9 Juin. — Nous assistons à un spectacle splendide : le voile de brouillards qui nous cache le Sarmiento se dissipe graduellement et découvre la montagne à notre vue. Cette montagne, une des plus hautes de la Terre de Feu, atteint une élévation de 6800 pieds. Des bois fort sombres en recouvrent la base jusqu’à un huitième environ de la hauteur totale ; au-dessus, un champ de neige s’étend jusqu’au sommet. Ces immenses amas de neige qui ne fond jamais et qui semble destinée à durer aussi longtemps que le monde, présentent un grand, que dis-je ? un sublime spectacle. La silhouette de la montagne se détache claire et bien définie. Grâce à la quantité de lumière réfléchie sur la surface blanche et polie, on ne découvre pas trace d’ombres sur la montagne ; on ne peut donc