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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/280

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LA TERRE DE FEU ET LA COTE OCCIDENTALE.

latitude) est véritablement étonnante. Une impénétrable forêt extrêmement humide recouvre les terres depuis les parties situées au sud de Chiloé jusqu’auprès de Concepcion par 37 degrés de latitude. Le ciel est toujours nuageux et nous avons vu que le climat ne convient en aucune façon aux fruits de l’Europe méridionale. Au Chili central d’autre part, un peu au nord de Concepcion, l’atmosphère est généralement claire, il ne pleut jamais pendant les sept mois d’été et les fruits de l’Europe méridionale réussissent admirablement ; on y a même cultivé la canne à sucre[1]. Sans aucun doute le niveau des neiges perpétuelles éprouve cette remarquable inflexion de 2700 mètres, sans pareille dans les autres parties du monde, assez près de la latitude de Concepcion, là où cessent les forêts. En effet, dans l’Amérique méridionale, les arbres indiquent un climat pluvieux ; or, la pluie indique à son tour un ciel couvert et peu de chaleur en été.

L’extension des glaciers jusqu’à la mer doit, je pense, dépendre principalement (en admettant, bien entendu, qu’il y ait quantité suffisante de neige dans la région supérieure) du peu d’élévation de la limite des neiges perpétuelles sur des montagnes escarpées situées près de la côte. La limite des neiges étant fort peu élevée à la Terre de Feu, il y avait tout lieu de s’attendre à ce que beaucoup de glaciers s’étendissent jusqu’à la mer. Je n’en ressentis pas moins un profond étonnement quand, sous une latitude correspondant à celle du Cumberland, je vis chaque vallée d’une chaîne de montagnes dont les plus hauts sommets ne s’élèvent guère qu’à 900 ou 1200 mètres, remplie de fleuves de glaces descendant jusqu’à la côte. Presque tous les bras de mer qui pénètrent jusqu’aux pieds de la chaîne la plus élevée, non-seulement à la Terre de Feu, mais pendant 650 milles (1040 kilomètres) sur la côte en se dirigeant vers le nord, se terminent par « d’immenses, par d’étonnants glaciers, » pour employer les mots de l’un des officiers chargés de relever les côtes. De grosses masses se détachent souvent de ces falaises de glace, et le bruit qu’elles font en tombant ressemble à la bordée d’un vaisseau de guerre. Ces chutes, comme je l’ai indiqué dans le chapitre précédent, provoquent la création de vagues terribles qui viennent se briser sur les côtes voisines. On sait que les

  1. Miers, Chili, vol. I, p. 413. On dit que la canne à sucre croissait à Ingenio, lat., 32 à 33 degrés, mais pas en quantité suffisante pour que la manufacture du sucre y soit profitable. Dans la vallée de Quillota, au sud d’Ingenio, j’ai vu quelques grands dattiers.