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LA TERRE DE FEU ET LA COTE OCCIDENTALE.

par 46°50′ de latitude dans le golfe de Penas. Ce glacier a 15 milles (24 kilomètres) de longueur et dans un endroit 7 milles (11 kilomètres) de largeur ; il s’avance jusqu’au bord de la mer. Mais, quelques milles même plus au nord de ce glacier, dans la Laguna de San Rafaël, des missionnaires espagnols[1] ont rencontré « beaucoup de montagnes de glace, les unes grandes, les autres petites, les autres moyennes, » dans un étroit bras de mer, le 22 du mois qui correspond à notre mois de juin et sous une latitude qui correspond à celle du lac de Genève !

En Europe, le glacier le plus méridional qui s’avance jusqu’à la mer se rencontre, selon von Buch, sur la côte de Norwége par 67 degrés de latitude. Or cet endroit est situé plus de 20 degrés de latitude, ou 1230 milles (1980 kilomètres) plus près du pôle que la lagune de San Rafaël. On peut présenter sous un point de vue plus frappant encore la position des glaciers en cet endroit et dans le golfe de Penas ; en effet, ils s’avancent jusqu’au bord de la mer, à 7 degrés et demi de latitude ou 450 milles (724 kilomètres) d’un port où les coquillages les plus communs sont trois espèces d’Olives, une Volute et une Vis, à moins de 9 degrés d’une région où croissent les palmiers, à 4 degrés et demi d’un pays dont le jaguar et le puma parcourent les plaines, à moins de 2 degrés et demi des graminées arborescentes et (si on se reporte un peu à l’ouest dans le même hémisphère) à moins de 2 degrés des orchidées parasites et à moins d’un seul degré des fougères arborescentes !

Ces faits présentent un grand intérêt géologique relativement au climat de l’hémisphère septentrional, à l’époque du transport des blocs erratiques. Je n’ai pas à indiquer ici en détail avec quelle simplicité la théorie des montagnes de glace, chargées de fragments de rochers, explique l’origine et la position des blocs erratiques gigantesques sur la Terre de Feu orientale et sur les hautes plaines de Santa Cruz et de l’île de Chiloé. À la Terre de Feu, le plus grand nombre des blocs erratiques reposent sur les lignes d’anciens détroits, convertis actuellement en vallées par suite de l’élévation du sol. Ces blocs se trouvent aujourd’hui associés à une grande couche non stratifiée de boue et de sable, contenant des fragments arrondis et angulaires de toutes les grosseurs, couche due[2] au sillonnement du fond de la mer par l’échouement des mon-

  1. Agüeros, Descr. hist. de Chiloé, p. 227.
  2. Geological Transactions, vol. VI, p. 415.