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EXCURSIONS.

Indiens eux-mêmes nous affirment que la route est impraticable. Ils ajoutent qu’on va quelquefois directement de Cucao à San Carlos à travers les bois, mais jamais par la côte. Dans ces expéditions, les Indiens ne portent avec eux que du blé grillé et ne mangent que deux fois par jour.

26 janvier. — Nous nous réembarquons sur la periagua et traversons le lac, puis nous remontons à cheval. Les habitants de Chiloé mettent à profit cette semaine de beau temps extraordinaire pour brûler leurs forêts ; on ne voit de toutes parts que des nuages de fumée. Mais, bien qu’ils aient grand soin de mettre le feu à la forêt de plusieurs côtés à la fois, ils ne peuvent parvenir à provoquer un grand incendie. Nous dînons avec notre ami le commandant et n’arrivons à Castro qu’à la nuit close. Le lendemain matin, nous partons de bonne heure. Après une étape assez longue, nous arrivons au sommet d’une colline d’où, spectacle fort rare dans ce pays, la vue s’étend sur la forêt. Au-dessus de l’horizon des arbres s’élève, dans toute sa beauté, le volcan de Corcovado, et un volcan à sommet plat un peu plus au nord ; c’est à peine si nous pouvons distinguer un autre pic de la grande chaîne. Jamais le souvenir de cet admirable spectacle ne s’effacera de ma mémoire. Nous passons la nuit en plein air et le lendemain matin nous arrivons à San Carlos. Il était temps, car le soir même la pluie se met à tomber à torrents.

4 février. — Nous mettons à la voile. Pendant la dernière semaine de notre séjour à Chiloé, j’avais fait quelques courtes excursions. Entre autres, j’avais été examiner une couche considérable de coquillages, appartenant à des espèces encore existantes, située à une hauteur de 350 pieds au-dessus du niveau de la mer ; des arbres immenses poussent maintenant au milieu de ces coquillages. Un autre jour je me rends à Punta Huechucucuy. J’avais pour guide un homme qui connaissait beaucoup trop bien le pays ; nous ne pouvions traverser un ruisseau, une crique ou une langue de terre sans qu’il me donnât avec force détails le nom indien de l’endroit. De même qu’à la Terre de Feu, le langage des Indiens semble admirablement s’adapter à désigner les caractères les plus intimes du paysage. Nous sommes tous enchantés de dire adieu à Chiloé ; ce serait cependant une île charmante, si des pluies continuelles n’y engendraient autant de tristesse. Il y a aussi quelque chose de fort attrayant dans la simplicité et l’humble politesse de ses pauvres habitants.