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CHILOÉ.

en esclaves plutôt qu’en hommes libres. Ils leur ordonnaient d’apporter des provisions et de nous livrer leurs chevaux sans daigner leur dire ce qu’on leur payerait ou même si on les payerait du tout. Restés seuls un matin avec ces pauvres gens, nous nous en fîmes bientôt des amis en leur donnant des cigares et du maté. Ils se partagèrent fort également un petit morceau de sucre et tous y goûtèrent avec la plus grande curiosité. Puis les Indiens nous exposèrent leurs nombreux sujets de plainte, finissant toujours par nous dire : « C’est parce que nous sommes de pauvres Indiens ignorants que l’on nous traite ainsi ; cela n’arrivait pas quand nous avions un roi. »

Le lendemain, après déjeuner, nous allons visiter Punta Huantamó, situé quelques milles plus au nord. La route longe une plage fort large, sur laquelle, malgré une si longue succession de beaux jours, la mer se brise avec furie. On me dit que, pendant une grande tempête, le mugissement de la mer s’entend pendant la nuit jusqu’à Castro, à 21 milles marins de distance, à travers un pays montagneux et boisé. Nous avons quelque difficulté à atteindre le point que nous voulons visiter, tant les chemins sont mauvais ; en effet, dès que le sentier se trouve ombragé par les arbres, il se transforme en un véritable marécage. Punta Huantamó est un magnifique amoncellement de rochers, recouverts d’une plante alliée, je crois, à la Bromélia, et que les habitants appellent Chepones. Nous nous écorchons horriblement les mains en circulant sur ces rochers, ce qui ne m’empêche pas de rire beaucoup du soin que prend notre guide indien de relever autant que possible son pantalon ; il pense sans doute que son vêtement est plus délicat que sa peau. Cette plante porte un fruit qui ressemble à un artichaut et qui contient un grand nombre de graines pulpeuses, fort estimées ici pour leur goût sucré et agréable. Au port de Low, les habitants se servent de ce fruit pour en faire du chichi ou du cidre ; tant il est vrai, comme le fait remarquer Humboldt, que presque partout l’homme trouve le moyen de préparer des boissons avec des végétaux. Je crois, cependant, que les sauvages de la Terre de Feu et de l’Australie n’en sont pas encore arrivés à ce degré de civilisation.

Au nord de Punta Huantamó, la côte devient de plus en plus sauvage ; elle est, en outre, bordée d’une quantité de récifs sur lesquels la mer se brise éternellement. Nous désirions, s’il était possible, revenir à pied à San Carlos en suivant cette côte ; mais les