Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
LES LLANOS.

traversé une rivière située à la distance de quelques milles, nous entrons dans la forêt et nous ne rencontrons qu’une misérable hutte avant d’atteindre l’endroit où nous devons passer la unit. La petite différence de latitude, 150 milles (249 kilomètres), est suffisante pour donner à la forêt un aspect tout nouveau, quand on la compare aux forêts de Chiloè. Cela provient d’une proportion différente des espèces d’arbres. Les arbres toujours verts ne paraissent pas être tout à fait aussi nombreux, aussi le feuillage paraît-il moins sombre. De même qu’à Chiloé, les joncs s’entrelacent autour des parties inférieures des arbres ; mais on remarque ici une autre espèce de jonc, qui ressemble au bambou du Brésil et qui atteint environ 20 pieds de hauteur ; ce bambou pousse par groupes et orne d’une façon charmante les rives de quelques ruisseaux. Les Indiens se servent de cette plante pour fabriquer leurs chusos ou longues lances. La hutte où nous devions passer la nuit est si sale que je préfère coucher en plein air ; la première nuit à passer dehors pendant ces expéditions est ordinairement fort désagréable, parce que l’on n’est pas habitué au bourdonnement et à la morsure des mouches. Le lendemain matin, il n’y avait certainement pas sur mes jambes un espace grand comme une pièce de 1 franc qui ne fût couvert de morsures.

12 février. — Nous continuons notre route à travers l’épaisse forêt ; de temps en temps nous rencontrons un Indien à cheval ou une troupe de belles mules apportant des planches et du blé des plaines situées plus au sud. Dans l’après-midi, nous atteignons le sommet d’une colline d’où l’on a une vue admirable sur les Llanos. La vue de ces immenses plaines devient un véritable soulagement quand, depuis si longtemps, on est resté enseveli, pour ainsi dire, dans une forêt perpétuelle, dont l’aspect finit par devenir monotone. Cette côte occidentale me rappelle agréablement les immenses plaines de la Patagonie, et, cependant, avec le véritable esprit de contradiction qui est en nous, je ne peux oublier la sublimité du silence de la forêt. Les Llanos forment la partie la plus fertile et la plus peuplée de ce pays, car ils possèdent l’immense avantage d’être presque entièrement dépourvus d’arbres. Avant de quitter la forêt, nous traversons quelques petites prairies où ne se trouvent qu’un arbre ou deux, comme dans les parcs anglais ; j’ai souvent remarqué avec surprise que, dans les districts boisés et ondulés, les arbres ne croissent pas dans les parties plates. Un de nos chevaux étant épuisé de fatigue, je me décide à m’arrêter à la