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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/338

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VALDIVIA.

mission de Cudico, d’autant que j’ai une lettre pour le père qui y réside. Cudico est un district intermédiaire entre la forêt et les Llanos. On y voit un assez grand nombre de cottages avec des champs de blé et de pommes de terre, appartenant presque tous à des Indiens. Les tribus dépendant de Valdivia sont « reducidos y cristianos. » Les Indiens habitant plus au nord, vers Arauco et Impérial, sont encore très-sauvages et ne sont pas convertis au christianisme ; ils n’en ont pas moins beaucoup de relations avec les Espagnols. Le padre me dit que les Indiens chrétiens n’aiment pas beaucoup à venir à la messe, mais qu’en somme ils ont beaucoup de respect pour la religion. On éprouve la plus grande difficulté à leur faire observer les cérémonies du mariage. Les Indiens sauvages prennent autant de femmes qu’ils peuvent en nourrir, et un cacique en a souvent plus de dix ; quand on entre chez lui, on devine aisément le nombre de ses femmes au nombre de huttes séparées. Chaque femme demeure à tour de rôle une semaine avec le cacique ; mais toutes travaillent pour lui, lui font des ponchos, etc. Être la femme d’un cacique constitue un honneur que recherchent beaucoup les femmes indiennes.

Dans toutes ces tribus, les hommes portent un grossier poncho en laine ; au sud de Valdivia, ils portent des pantalons courts, et, au nord de cette ville, un jupon qui ressemble au Chilipa des Gauchos. Tous enferment leurs longs cheveux dans un filet, mais ne portent aucune autre coiffure. Ces Indiens ont une taille assez élevée ; ils ont les pommettes saillantes, et, par l’ensemble de leur extérieur, ressemblent à la grande famille américaine à laquelle d’ailleurs ils appartiennent ; mais leur physionomie me semble différer quelque peu de celle de toutes les tribus que j’avais vues jusque-là. Ordinairement sérieuse et austère, pleine de caractère, elle indique une honnête rudesse ou une féroce détermination. Leurs longs cheveux noirs, leurs traits graves et bien définis, leur teint brun, me rappelaient les vieux portraits de Jacques Ier. Ici, on ne trouve plus cette humble politesse si commune à Chiloé. Quelques-uns vous adressent un « mari-mari » (bonjour) fort brusque ; mais le plus grand nombre ne semblent guère disposés à vous saluer. Cette indépendance est sans doute la conséquence de leurs longues guerres avec les Espagnols et des nombreuses victoires que seuls, de tous les peuples de l’Amérique, ils ont su remporter sur les Européens.

Je passai une soirée fort agréable à causer avec le padre. C’est