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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/34

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COLORATION DE LA MER.

nettement la ligne où se rejoignaient l’eau rouge et l’eau bleue. Depuis quelques jours, le temps était fort calme et l’Océan regorgeait, pour ainsi dire, de créatures vivantes[1].

J’ai vu dans les mers qui entourent la Terre de Feu, à peu de distance de la terre, des espaces où l’eau affecte une couleur rouge brillante ; cette couleur est produite par un grand nombre de crustacés qui ressemblent un peu à de grosses crevettes. Les baleiniers donnent à ces crustacés le nom d’aliment des baleines. Je ne saurais dire si les baleines s’en nourrissent ; mais les sternes, les cormorans et des troupeaux immenses de phoques, sur quelques points de la côte, se nourrissent principalement de ces crustacés, qui ont la faculté de nager. Les marins attribuent toujours au frai la coloration de la mer ; mais je n’ai pu observer ce fait qu’une seule fois. À quelques lieues de l’archipel des Galapagos, notre vaisseau traversa trois bandes d’eau boueuse jaune foncé ; ces bandes avaient plusieurs milles de longueur, mais seulement quelques mètres de largeur, et se trouvaient séparées de l’eau environnante par une ligne sinueuse et cependant distincte. Dans ce cas, cette couleur provenait de petites boules gélatineuses, ayant environ un cinquième de pouce de diamètre, qui contenaient de nombreux ovules extrêmement petits ; j’ai remarqué deux espèces distinctes de boules : l’une affecte une couleur rougeâtre et a une forme différente de l’autre. Il m’est impossible de dire à quels animaux appartiennent ces boules. Le capitaine Colnett remarque que la mer revêt fort souvent cet aspect dans l’archipel des Galapagos et que la direction des bandes indique celle des courants ; cependant, dans le cas que je viens de décrire, les bandes indiquaient la direction du vent. D’autres fois j’ai remarqué sur la mer un revêtement huileux fort mince sous l’influence duquel l’eau prend des couleurs irisées. Sur la côte du Brésil, j’ai eu l’occasion de voir un espace considérable de l’Océan ainsi recouvert ; ce que les marins attribuaient à une carcasse de baleine en putréfaction, qui probablement flottait à quelque distance. Je ne

  1. M. Lesson (Voyage de la Coquille, vol. I, p. 255) signale de l’eau rouge au large de Lima, dont la couleur était produite sans doute par la même cause. Le célèbre naturaliste Péron indique, dans le Voyage aux terres australes, douze voyageurs au moins qui ont fait allusion à la coloration de la mer (vol. II, p. 239). On peut ajouter aux voyageurs indiqués par Péron, Humboldt, Pers. Narr., vol VI, p. 804 ; Flinder, Voyage, vol. I, p. 92 ; Labillardière, vol. I, p. 287 ; Ulloa, Voyage ; Voyage de l’Astrolabe et de la Coquille ; capitaine King, Survey of Australia ; etc.