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CONCEPCION.

chaque petit choc, et de l’autre tâchant de s’emparer de tout ce qu’ils voyaient. Les toits en chaume s’écroulèrent sur les feux allumés et les flammes se firent jour de toutes parts. Des centaines de gens se savaient entièrement ruinés et il restait à bien peu d’entre eux de quoi se procurer des aliments pour la journée.

Un seul tremblement de terre suffit pour détruire la prospérité d’un pays. Si les forces souterraines de l’Angleterre, aujourd’hui inertes, recommençaient à exercer leur puissance, comme elles l’ont fait assurément pendant des époques géologiques actuellement fort éloignées de nous, quels changements ne se produiraient pas dans le pays tout entier ! Que deviendraient les hautes maisons, les cités populeuses, les grandes manufactures, les splendides édifices publics et privés ? Si quelque grand tremblement de terre se produisait au milieu de la nuit, quel horrible carnage ! La banqueroute serait immédiate ; tous les papiers, tous les documents, tous les comptes disparaîtraient en un instant. Le gouvernement ne pouvant plus ni percevoir les impôts ni affirmer son autorité, la violence et la rapine domineraient tout. La famine se déclarerait dans toutes les grandes villes ; la peste et la mort suivraient bientôt.

Quelques instants après le choc, on vit, à une distance de 3 ou 4 milles, une vague énorme s’avancer au milieu de la baie. Aucune trace d’écume sur cette vague, qui paraissait inoffensive, mais qui, le long de la côte, renversait les maisons et déracinait les arbres en s’avançant avec une force irrésistible. Arrivée au fond de la baie, elle se brisa en vagues écumeuses qui s’élevèrent à une hauteur verticale de 23 pieds au-dessus des plus hautes marées. La force de ces vagues devait être énorme, car, dans la forteresse, elles transportèrent à une distance de 13 pieds un canon et son affût pesant 4 tonnes. Un schooner fut transporté à 200 mètres de la côte et s’échoua au milieu des ruines. Deux autres vagues se produisirent et, en se retirant, emportèrent une immense quantité de débris. Dans une partie de la baie, un bâtiment fut transporté sur la côte, puis emmené à nouveau, puis rejeté sur la côte, puis enfin remis à flot par la dernière vague. Dans une autre partie de la baie, deux grands bâtiments, à l’ancre l’un auprès de l’autre, se mirent à tournoyer de telle façon que les câbles de leurs ancres s’enroulèrent l’un autour de l’autre, et, bien qu’il y eût 36 pieds d’eau, ils se trouvèrent tout à coup à sec sur le sol pendant quelques minutes. La grande vague, d’ailleurs, s’approcha assez lentement, car les habitants de Talcahuano eurent le temps de se réfugier sur des