Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
342
LE PORTILLO.

J’ai fréquemment remarqué, et à la Terre de Feu et dans les Andes, que, partout où le roc est couvert de neige, pendant une grande partie de l’année, il est concassé de façon extraordinaire en un grand nombre de petits fragments angulaires. Scoresby[1] a observé le même fait au Spitzberg. Il me semble assez difficile d’expliquer ce fait ; en effet, la partie de la montagne protégée par un manteau de neige doit être moins exposée que toute autre partie à de grands et fréquents changements de température. J’ai pensé quelquefois que la terre et les fragments de pierre, qui se trouvent à la surface, disparaissent peut-être moins vite sous l’action de la neige qui fond petit à petit et qui s’infiltre dans le sol[2] que sous l’action de la pluie, et que, par conséquent, l’apparence d’une désintégration plus rapide du rocher sous la neige est absolument trompeuse. Quelle qu’en puisse être la cause, on trouve de grandes quantités de pierres concassées dans les Cordillères. Quelquefois, au printemps, d’énormes masses de détritus glissent le long des montagnes et recouvrent les amas de neige qui se trouvent dans les vallées, formant ainsi de véritables glacières naturelles. Nous avons passé sur une de ces glacières située bien au-dessous de la limite des neiges perpétuelles.

Nous atteignons dans la soirée une singulière plaine qui ressemble à un bassin et que l’on appelle la Valle del Yeso. On y trouve quelques herbages desséchés et nous y voyons un troupeau de bestiaux errant à l’aventure au milieu des rochers environnants. Le nom de Yeso donné à cette vallée provient d’une couche considérable (elle a au moins 2 000 pieds d’épaisseur) de gypse blanc presque entièrement pur dans bien des endroits. Nous passons la nuit auprès d’une troupe d’ouvriers occupés à charger des mules avec cette matière que l’on emploie dans la fabrication du vin. Partis de bonne heure le 21, nous remontons toujours le fleuve, qui devient de moins en moins important, jusqu’à ce que nous arrivions enfin au pied de la chaîne qui sépare le bassin de l’océan Pacifique du bassin de l’océan Atlantique. La route, assez bonne jusque-là,

  1. Scoresby, Arctic Regions, vol. I, p. 122.
  2. J’ai entendu dire dans le Shropshire que l’eau de la Severn, gonflée à la suite de longues pluies, est beaucoup plus limoneuse que quand la crue provient de la fonte des neiges sur les montagnes du pays de Galles. D’Orbigny (vol. I, p. 184), en expliquant la cause des couleurs différentes des fleuves de l’Amérique du Sud, fait remarquer que celles où l’eau est le plus bleue et le plus limpide ont leur source dans la Cordillère où fondent les neiges.