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LE PORTILLO.

nonce toujours par du tonnerre et des éclairs. Quoi qu’il en soit, le danger est grand, et il est fort difficile d’y échapper quand on est surpris par le mauvais temps dans cette région située entre les deux chaînes principales. Une certaine caverne offre le seul refuge qu’il y ait ; M. Caldcleugh, qui a traversé la montagne à la même époque, a été enfermé pendant quelque temps dans cette caverne à la suite d’un orage de neige. On n’a pas construit dans cette passe, comme dans celle d’Uspallata, des casuchas, ou maisons de refuge ; aussi le Portillo est-il peu fréquenté en automne. Il est bon de remarquer qu’il ne pleut jamais dans la Cordillère ; en été, le ciel est toujours pur, en hiver il n’y a que des orages de neige.

Par suite de l’élévation à laquelle nous nous trouvons, la pression de l’atmosphère est beaucoup moindre et l’eau bout nécessairement à une température plus basse ; c’est exactement l’inverse de ce qui se passe dans la marmite de Papin. Aussi des pommes de terre, que nous laissons plusieurs heures dans l’eau bouillante, en sortent-elles aussi dures qu’elles l’étaient quand nous les y avons plongées. La marmite est restée toute la nuit sur le feu ; le matin, on la fait bouillir encore, et les pommes de terre ne cuisent pas. Je m’en aperçois en entendant mes deux compagnons discuter la cause de ce phénomène ; ils avaient d’ailleurs trouvé une explication fort simple : « Cette abominable marmite, disaient-ils (c’était une marmite neuve), ne veut pas faire cuire les pommes de terre. »

22 mars. — Après avoir déjeuné sans pommes de terre, nous traversons la vallée pour nous rendre au pied du Portillo. Pendant l’été, on amène des bestiaux dans cette vallée pour les y faire paître, mais la saison est si avancée, qu’il n’en reste plus un seul ; les guanacos eux-mêmes ont presque tous décampé, comprenant bien que s’ils se laissent surprendre dans cette vallée par un orage de neige, ils n’en pourront plus sortir. J’admire en passant une masse de montagnes appelée Tupungato ; cette montagne est complètement recouverte de neige, au milieu de laquelle on aperçoit une tache bleue, sans doute un glacier, fait fort rare dans ces montagnes. Nous commençons alors une longue et pénible escalade semblable à celle du Peuquenes. D’immenses pics de granit rose s’élèvent tout autour de nous ; les vallées sont couvertes de neiges perpétuelles. Ces masses glacées avaient çà et là, pendant le dégel, pris la forme de colonnes[1] fort élevées

  1. Il y a longtemps déjà que Scoresby a observé, dans les montagnes du Spitz-